Par Julie Gedeon

Approche innovante de cocréation à Sept-Îles

Leadership

Le Port de Sept-Îles s’intéresse à la cocréation pour réinventer ses rives publiques

Le nouvel indicateur de l’Alliance verte sur les relations avec les communautés incite les ports qui souhaitent satisfaire aux critères supérieurs du niveau 5 à utiliser l’approche innovante de la cocréation pour entreprendre et mener à bien un projet.

« Contrairement aux consultations publiques traditionnelles qui visent à faire approuver un plan déjà conceptualisé, le processus de cocréation commence par recenser toutes les personnes susceptibles d’être intéressées par le projet ou son espace, puis les invite à communiquer leurs idées dès le départ », explique Véronique Trudeau, directrice de programme au sein de l’Alliance verte.

Le concept est relativement nouveau pour le secteur maritime. Pour mieux le comprendre, l’Alliance verte et plusieurs représentants portuaires ont suivi une formation avec une spécialiste en cocréation de l’Atelier social, qui aide les particuliers et les groupes à communiquer et à collaborer sur des questions touchant l’écologie, le changement climatique et l’aménagement du territoire.

« Nous avons également consulté le Réseau Québec maritime, un organisme soucieux d'encourager un développement maritime responsable et durable, qui avait participé au financement et à l’élaboration de projets de cocréation liés à l’environnement marin sans que ceux-ci ne soient particulièrement axés sur le transport maritime, ajoute Mme Trudeau. Tout cela nous a aidés à mieux définir nos critères.»

Les partenariats sont la force de notre port : ils font partie de notre ADN.

Manon D'Auteuil

Des discussions subséquentes ont finalement mené le Réseau Québec maritime à financer un projet où des experts en cocréation seraient appelés à aider un port québécois à définir les étapes d’une véritable initiative de cocréation. L’Alliance verte a donc lancé l’appel, et le Port de Sept-Îles a répondu.

« Les partenariats sont la force de notre port : ils font partie de notre ADN. Lorsque nous avons appris que l’Alliance verte cherchait à lancer un projet pilote, nous nous sommes immédiatement portés volontaires et nous avons commencé à réfléchir à ce que nous pourrions faire en misant sur la cocréation », explique Manon D’Auteuil, directrice, Ingénierie et développement durable, au Port de Sept-Îles, qui avait d’ailleurs participé à la formation initiale sur la cocréation.

« Nous avons décidé de travailler sur l’accès public à la bande riveraine dans le secteur urbain du port, à partir des limites de nos terrains (où la Ville de Sept-Îles a construit un sentier pédestre) jusqu’à nos quais pour bateaux de croisière en visite », raconte Mme D’Auteuil.

L’espace utilisé pour diverses activités publiques est un choix idéal, selon Jean-François Jasmin, chef de projet et animateur de l’organisme Le Laboratoire en innovation ouverte (LLio), un centre de recherche appliquée en innovation ouverte qui a établi un ensemble de procédures de cocréation.

« Lorsqu’un projet ou une question complexe engage plusieurs parties prenantes, la cocréation constitue souvent un bon moyen de véritablement concilier divers intérêts, de tirer parti de leurs différentes expertises et d’entendre des idées nouvelles sur ce qui pourrait être fait », explique M. Jasmin.

En plus d’accueillir les navires de croisière et d’autres types de navires, les quais sont aussi accessibles au public pour la pêche et les activités récréatives. « Nous avons dû établir un cadre clair pour l’initiative de cocréation, car les quais doivent remplir certaines fonctions et respecter certaines réglementations au chapitre de la sécurité », souligne Mme D’Auteuil.

C’est aussi une bonne idée d’officialiser une sorte d’accord de partenariat pour mobiliser les parties prenantes dans le processus de collaboration.

Jean-François Jasmin

D’après M. Jasmin, le fait de clarifier le projet ou le problème dès le départ permet d’établir un lien de confiance, plutôt que de risquer que des gens se sentent trompés ensuite à propos de ce qui est possible ou pas. « C’est aussi une bonne idée d’officialiser une sorte d’accord de partenariat pour mobiliser les parties prenantes dans le processus de collaboration et s’assurer qu’elles comprennent parfaitement leur rôle et ses implications », ajoute-t-il.

La première étape pour le Port de Sept-Îles a été de cibler toutes les personnes, les organisations et les agences qui pourraient ou devraient participer au projet, ce qui a été fait en collaboration avec le LLio, l’Alliance verte, le Réseau Québec maritime ainsi que le Centre de développement et de recherche en intelligence numérique, qui aide à utiliser les données de manière plus efficace et responsable.

« Il faut voir au-delà des évidences, affirme M. Jasmin. Dans ce cas par exemple, il y a les personnes qui pratiquent la pêche commerciale ou récréative à différentes heures de la journée... Et puisque nous ne sommes pas les experts en pêche, il faut leur demander comment ce projet pourrait s’adapter à leurs usages en termes d’accès piétonnier, ou du moins ce que l’on pourrait faire pour faciliter le plus possible la coexistence harmonieuse.»

La cocréation suppose une interaction sociétale beaucoup plus importante, mais je suis tout à fait convaincue que notre port en bénéficiera à long terme.

Manon D'Auteuil

Une fois la longue liste des intervenants potentiels établie, le Port de Sept-Îles a été orienté vers un « exercice d’empathie » afin de mieux comprendre chacun de ces groupes d’intérêt.

« Lorsque nous réalisons un projet, je fais généralement des consultations sur des questions techniques et environnementales, mais ce projet va bien au-delà de tout cela puisqu’il nous incite à nous mettre réellement à la place des autres pour réfléchir à leurs besoins, avance Mme D’Auteuil. La cocréation suppose une interaction sociétale beaucoup plus importante, mais je suis tout à fait convaincue que notre port en bénéficiera à long terme. »

Le processus fait désormais place à une série de rencontres en petits et plus grands groupes qui auront lieu cet été et à l’automne entre le port et les différents intervenants, afin de les encourager à collaborer sur différents scénarios possibles pour développer l’accès public à la bande riveraine.

C’est sûr que le processus de cocréation demande plus de temps et d’efforts au début, mais ça finit par être payant.

Jean-François Jasmin

« En somme, on invite les gens à cocréer à partir de zéro en respectant le cadre établi pour le projet, afin qu’ils proposent des idées pour les premiers scénarios éventuels », explique M. Jasmin.

Tout ce processus doit concilier de multiples intérêts, notamment ceux de l’administration municipale, de la communauté innue de Uashat Mak Mani Utenam, d’autres groupes communautaires, des organismes environnementaux, des agences de tourisme, des garderies locales et même des écoles qui organisent des sorties scolaires avec les enfants.

« C’est sûr que le processus de cocréation demande plus de temps et d’efforts au début, mais ça finit par être payant parce que, dans bien des cas, on bénéficie en cours de route de l’adhésion du public et des autres parties, confirme M. Jasmin. Il en ressort aussi un grand sentiment de fierté pour le projet et une confiance accrue envers le port en prévision d’autres initiatives.»

Jusqu’à présent, Mme D’Auteuil est à la fois satisfaite et intriguée par le projet pilote. « C’est bien de disposer de l’expertise nécessaire pour apprendre et essayer quelque chose de nouveau, et d’être guidé à chaque étape, car il s’agit quand même d’un processus assez complexe », dit-elle.

« Ça nous permet aussi d’aider l’Alliance verte à établir les lignes directrices réalisables, étape par étape, d’un processus novateur de cocréation, et pour le port de réaménager un de ses secteurs tout en embellissant peut-être la vie des gens à long terme », ajoute-t-elle.

Manon D’Auteuil apprécie le fait que chaque personne impliquée dans le processus soit responsable un peu à sa façon de proposer des solutions et de collaborer avec les autres. « Vous ne pouvez pas vous contenter de dire “Je n’aime pas ceci” ou “Je veux cela” pour finalement tourner le dos… Vous devez faire partie du projet et vous impliquer réellement, pense-t-elle. Alors oui, je suis vraiment curieuse de voir ce qui ressortira de tout cela et je crois que le jeu en vaudra la chandelle. »

Elle espère aussi qu’il sera plus facile et plus rapide d’appliquer le cadre par étapes à d’autres projets une fois que ce dernier aura été défini.

Le projet du Port de Sept-Îles servira également d’exemple qui, nous l’espérons, inspirera d’autres intéressés à tenter le processus de cocréation.

Véronique Trudeau

L’Alliance verte utilisera le projet pilote comme une étude de cas pour tester et recentrer les lignes directrices de cocréation de son programme. « Le projet du Port de Sept-Îles servira également d’exemple qui, nous l’espérons, inspirera d’autres intéressés à tenter le processus de cocréation », ajoute Mme Trudeau.

La cocréation et l’indicateur de performance sur les relations avec les communautés étendent la portée du programme de certification environnementale de l’Alliance verte dans le domaine social. « C’est une chose que nos participants ont demandée à l’Alliance verte, car ils comprennent de plus en plus que le contrat social est aussi important que les moteurs économiques et la durabilité environnementale pour assurer la santé des activités commerciales. »