Le trafic maritime a fortement augmenté au cours des dernières décennies. La flotte commerciale est passée d’environ 30 000 navires au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à près de 100 000 de nos jours et cette tendance s’accélère.
L’augmentation du niveau de bruit rayonné dans le milieu marin suit globalement celle du trafic maritime. Il est admis au sein de la communauté scientifique que l’énergie acoustique rayonnée par les navires à l’échelle mondiale double chaque décennie.
Le bruit sous-marin produit par les activités humaines peut avoir des effets négatifs sur la faune et notamment les espèces en péril du Canada (baleine noire de l’Atlantique Nord, béluga, orque épaulard, baleine bleue).
Ces effets pourraient prendre la forme de communications altérées, de dérangements comportementaux et de réactions physiologiques. Il est encore difficile aujourd’hui de traduire quantitativement ces effets en impacts écologiques sur les individus et les populations.
Dans une démarche très proactive, le Canada a reconnu le bruit lié au trafic maritime comme un nouveau type de pollution marine et désire réduire ces effets en conciliant le service essentiel qu’est le commerce maritime, tout en atténuant ses impacts négatifs sur la faune.
Une démarche gagnante est de comprendre les causes du bruit rayonné par les navires individuellement et de proposer des méthodes de réduction à l’échelle des navires. C’est ce défi que le projet MARS tente de relever.
Le premier consiste à implanter et opérer une station de recherche acoustique sous-marine (4 bouées-antennes, 12 hydrophones) de niveau international dans l’estuaire du Saint-Laurent.
La station, conçue, fabriquée et opérée par Multiélectronique (MTE) et OpDAQ systèmes, est actuellement la seule plateforme fixe, opérant 24h/24 et connectée au monde à respecter la norme ANSI/ASA S12.64 2009 pour la mesure du bruit sous-marin généré par un navire.
Située à proximité des voies de navigations du Saint Laurent, elle permet aux navires de mesurer leur bruit sans se dérouter et sans perte de temps (voir la figure 1). La station MARS permet de fournir une information précise sur le bruit rayonné par chaque navire passant dans la station : la signature acoustique. L’ISMER-UQAR est responsable de ce second volet.
Le troisième axe du projet, porté par Innovation maritime (IMAR), concerne la prise de mesures de bruit et de vibration à bord des navires en parallèle de leur passage dans la station. Ces mesures permettent de caractériser et de hiérarchiser les sources de bruit des navires.
La combinaison des informations prises à bord des navires et par la station permet de relier les niveaux de bruits les plus problématiques à leurs sources dans les navires. Grâce à cela, il devient plus aisé de poser un diagnostic éclairé et de suggérer des moyens de mitigation du bruit qui soient ajustés à chaque navire (quatrième axe du projet). Cela permet d’adopter une démarche pragmatique pour les solutions de réduction du bruit proposées, et de maximiser leur impact environnemental.
La station MARS a été déployée pour la première fois à l’été 2021. Trente-huit (38) signatures acoustiques ont pu être enregistrées et analysées par l’ISMER.
Parallèlement, une première mission de diagnostic à bord des navires a été réalisée à bord du Bella Desgagnés alors que ce dernier traversait la station.
La station, ayant dû être relevée durant la saison hivernale, est de nouveau active de mai à octobre 2022. Grâce à cette plus grande durée d’opération et l’expérience acquise, 150 mesures de signatures et de 4 à 7 missions de diagnostic sont attendues pour l’année 2022.
La prochaine étape du projet est de proposer des moyens de réduction du bruit en quantifiant leur réduction acoustique par rapport au coût et à la difficulté de mise en œuvre afin de faire émerger des solutions efficaces pour l’environnement et acceptables pour les armateurs. Les deux grandes sources de bruits sur les navires sont la machinerie et l’hélice. La maîtrise du bruit lié à l’hélice doit être envisagée dès les phases de conception du navire et les efforts se concentrent actuellement sur le bruit lié à la machinerie.
La figure ci-dessous montre les spectres fréquentiels du bruit rayonné par deux navires ayant passé à proximité de la station MARS. Un spectre est une représentation graphique de toutes les fréquences contenues dans ce bruit. Les basses fréquences correspondent à des sons plutôt graves, alors que les hautes fréquences correspondent à des sons plutôt aigus.
Sur la figure, le spectre de gauche est caractéristique d’un navire dont la source principale de bruit est l’hélice. On reconnaît cela à la bosse plus ou moins lisse en basse fréquence. Le spectre de droite est plutôt caractéristique d’un bruit de machinerie avec des pics étroits, appelés raies, qui se dégagent de la courbe. Ils sont associés à des éléments mécaniques précis sur le navire : engrenages, allumage dans les chambres à combustion, RPM, etc. Les raies vertes sur la figure sont à l’intérieur de la plage fréquentielle de communication des Bélugas (200 – 2000 Hz). À titre d’exemple, la mitigation de celles-ci diminuerait le bruit rayonné par le navire d’un facteur 4, doublant le rayon de communications des sifflements des Bélugas dans cette plage fréquentielle dont les sons pourraient être masqués par le bruit du navire.
L’équipe travaille maintenant à identifier des solutions de mitigation à proposer aux armateurs partenaires. Certaines avenues traditionnelles sont envisagées, telles que des isolateurs élastiques, étudier l’impact de la vitesse et de différents types de carburant. En parallèle, d’autres projets connexes à MARS sont en démarrage chez IMAR afin de proposer des solutions plus innovantes. Ces mesures seront testées en collaboration avec les armateurs partenaires et par la suite évaluées lors de passages subséquents dans la station acoustique.
Article rédigé pour l’équipe MARS par Jean-Christophe Gauthier-Marquis, M. Sc., chercheur chez Innovation maritime (IMAR).
Il possède une expérience en océanographie physique (fragmentation et déformation de la glace de mer) et est impliqué dans plusieurs projets scientifiques au sein d’IMAR. Jean-Christophe Gauthier-Marquis est aussi enseignant au niveau collégial.
Une équipe d’acteurs du Québec à la recherche de moyens de mitigation ciblés pour réduire le bruit sous-marin.
Ce projet est cofinancé par Transports Canada, le ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec et la Société de développement économique du Saint-Laurent (SODES). Il a été initié par l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER-UQAR) et Innovation maritime (IMAR), il implique deux PME rimouskoises (MTE inc, OpDAQ systèmes inc). Il vise à fournir aux armateurs partenaires (Algoma, Canada Steamship Lines, Desgagnés et Fednav) des informations solides et essentielles, afin de prendre des actions en regard du bruit sous-marin généré par leurs navires.