Par Anne-Marie Asselin, Laura Rowenczyk, Viridiana Jimenez-Moratalla

L'Expédition bleue documente la pollution plastique

Parlons sciences

Un premier portrait de la pollution plastique dans le Saint-Laurent

À bord de l’impressionnant voilier EcoMaris, une équipe de chercheuses issues d’un éventail d’expertises et d’horizons s’allient pour documenter la pollution plastique et témoigner des changements climatiques au cœur du golfe du Saint-Laurent. Avec le soutien du programme de temps-navire du Réseau Québec maritime (RQM), l’Organisation Bleue a mis sur pied ce projet intitulé « Expédition Bleue » en collaboration avec l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Un équipage multidisciplinaire porte ainsi un premier regard sur l’état des lieux du territoire québécois jusque-là peu documenté : au nord de Sept-îles, Anticosti, Îles-de-la-Madeleine, et les eaux entre Québec et Terre-Neuve.

Ce projet novateur, réalisé à l’été 2022, a suscité une marée de curieux à travers les médias, la population et les institutions. Ancrés en interdisciplinarité, quatre projets de recherche scientifique et de recherche-création en littérature ont eu lieu à bord du voilier pendant le périple de 21 jours. Leurs objectifs : échantillonner la pollution plastique sur le littoral, prélever l’eau de surface pour mesurer les microplastiques, et communiquer, grâce à la création littéraire et la production multimédia, les percées et les avancées auprès du grand public.

La pollution plastique et les changements climatiques

La pollution plastique est un fléau mondial, mais qu’en est-il de la situation au Québec? Les plastiques dans l'environnement marin sont une préoccupation majeure en raison de leur persistance en mer et de leurs conséquences néfastes sur la vie marine et potentiellement sur la santé humaine. Environ 80% de la pollution qu’on retrouve dans les océans provient des fleuves et des rivières à l’intérieur des continents (source). Le Saint-Laurent traverse le territoire québécois, des Grands Lacs jusqu’à l’océan Atlantique. L’impact de la pollution endémique de la côte Est canadienne sur l’océan Atlantique est indéniable. Mais qu’en est-il du golfe, cette mer intérieure qui semble accumuler les débris en son cœur, à la façon des grands gyres océaniques - ces courants circulaires qui concentrent la pollution ?

La pollution se mesure en deux ordres de grandeur, micro (<5mm) et macro (>5mm), sur lesquels les chercheuses se sont penchées pendant l’expédition. Dans le cadre du programme Odyssée Saint-Laurent du RQM, plusieurs chercheur.es issu.es de l’Université McGill, de l’UQAR et de Merinov avaient préalablement étudié les microplastiques dans le fleuve et l’estuaire du Saint-Laurent au cours des cinq dernières années. Ce projet avait pour but de dresser le premier état des lieux des enjeux socio-environnementaux et socio-économiques liés à la présence de microplastiques dans ce fleuve, qui constitue l’une des réserves mondiales principales d’eau potable de surface.

Des échantillonnages ont montré que les concentrations en microplastiques, principalement des fibres, deviennent plus élevées en aval du fleuve, près du golfe.

L’ubiquité des microplastiques dans la partie fluviale du Saint-Laurent, associée à la complexité hydrologique, la fragilité des écosystèmes et des activités humaines qui en dépendent, impose de caractériser cette problématique dans les parties estuariennes et marines du Saint-Laurent. C’est ce qu’a cherché à faire à son tour l’Expédition Bleue, dans le golfe.

Depuis cinq ans, l’Organisation Bleue échantillonne et caractérise la pollution le long du littoral du Saint-Laurent du fleuve au golfe, grâce à un protocole de science participative développé par l’obnl. Ce travail démontre une grande présence de pollution sur les rivages du Québec. Les chercheuses ont échantillonné 10 sites dans le golfe, en ciblant particulièrement des aires marines protégées et des réserves fauniques, afin de caractériser et de comptabiliser ce qui s’y trouve. L’hypothèse cherche à démontrer d’une part l’omniprésence de la pollution plastique sur ces littoraux en aval du Saint-Laurent, mais également une quantité accrue de déchets sur ces berges, dû à l’incidence des courants marins.

Les constats

Parmi leurs constats, les scientifiques ont remarqué une concentration de déchets dans le golfe, pouvant être expliquée par le phénomène des gyres du golfe du Saint-Laurent, se comportant à plus petite échelle et de façon similaire aux grands gyres océaniques, et qui fera l’objet d’autres études post-expédition. Plusieurs réserves fauniques sont affectées par cette pollution plastique, où une biodiversité riche et unique cohabite directement avec la pollution. Ces zones quasi inhabitées récoltent et accumulent le fruit de nos habitudes de consommation, marée après marée.

Certains sites semblent indiquer un effet des courants marins et la présence d’un gyre, acheminant des quantités importantes de déchets plastiques, notamment sur le versant sud de l’île d’Anticosti, lieu qui se distinguait particulièrement par l’omniprésence et la grande quantité de pollution sur ses berges.

Les catégories de déchets les plus fréquemment observées sur nos berges sont : le plastique à usage unique, telles que des bouteilles de plastique, des couvercles à tasses à café et des gobelets, issues de plusieurs marques de breuvage québécoises et canadiennes.

Les chercheuses ont aussi constaté l’incidence frappante de l’industrie de la pêche, où engins, filets, bouées et cordages s’entassent, s’entremêlent et s’accumulent sur les berges de façon très insidieuse avec la nature.

Le désastre environnemental dont on a été témoin nous a bouleversées. Ce qu'on trouve sur les berges, c'est le fruit de nos modes de vie des dernières décennies. Il est grand temps de faire la lumière sur cette réalité anthropique et poser des gestes concrets pour renverser la tendance.

Anne-Marie Asselin, cheffe de mission et fondatrice de l’Organisation Bleue
Amélioration des procédés d'échantillonnage sur le terrain et innovation

L’échantillonnage des microplastiques dans l’environnement constitue encore un défi technique à cause de la petite taille de ces particules et de la grande difficulté à les différencier d’autres particules d’origine naturelle (grains de sable, fragments de plantes ou autres). Des campagnes d’échantillonnage telles que l’Expédition Bleue ont aussi pour but de tester à échelle réelle les protocoles d’échantillonnage qui ont été développés en laboratoire.

Le financement de ces campagnes est nécessaire afin d’améliorer ces protocoles et de se confronter à la réalité du terrain comme les courants, les vagues, les variations de physico-chimie de l’eau

Laura Rowenczyk, scientifique responsable de l’étude des microplastiques au sein de l’Expédition Bleue

Dans la continuité des échantillonnages de microplastiques de 2019 qui ont eu lieu dans la partie fluviale du Saint-Laurent, l’Expédition Bleue a permis pour la première fois de collecter des échantillons dans le Golfe du Saint-Laurent au plus près des gyres. En parallèle, les échantillonnages de déchets plastiques sur les berges préservées d’activités humaines sont également une mine d’information permettant de décrire le cycle de vie des plastiques dans le Saint-Laurent. Une fois ces échantillons analysés, nous espérons pouvoir enfin comprendre le devenir des déchets plastiques, de leurs sources à leur destination finale. Ces données exclusives concernant les plastiques à deux échelles de tailles sont indispensables pour la compréhension de l’impact des plastiques sur notre écosystème. À terme, nous espérons que ce travail de recherche et développement mènera vers un protocole commun définissant les lignes directrices pour la quantification des microplastiques et des macroplastiques dans les environnements aquatiques et marins.

En plus du développement d‘un protocole commun pour harmoniser les études sur les plastiques, il est nécessaire de créer des plateformes ouvertes permettant le partage des informations collectées sur le terrain. La mise en commun de ces résultats dans des bases de données collaboratives permettrait d’avoir une vision plus globale sur cette pollution, tout en ayant un dialogue entre les sphères de recherches et les décisionnaires.

L’Expédition Bleue a permis d’établir un premier portrait de l’incidence du plastique dans le golfe du Saint-Laurent et le long de son littoral, qui va ouvrir la voie vers d’autres projets collaboratifs en recherche et innovation, pour faire face à cet enjeu maritime complexe de façon concertée et synergique

Viridiana Jimenez-Moratalla, conseillère en communication au RQM et membre de l’équipe à bord de l’Expédition Bleue
Les premières qui ont été réalisées avec l’Expédition Bleue :
  1. Premier test d’application de la méthodologie d'échantillonnage dans le golfe - amélioration de protocoles (innovation)
  2. Premiers échantillons de microplastiques et macroplastiques prélevés dans le golfe
  3. Premiers échantillonnages dans les gyres et sur les plages en vis-à-vis
  4. Première cartographie de surveillance qui sera produite sur ce secteur géographique
Vers des pistes de solutions

Les années 2021-2030 marque la décennie des sciences océanographiques au service du développement durable des Nations Unies. Il est important d’axer les recherches autour de ce momentum mondial afin de mieux régir nos systèmes océaniques, le Saint-Laurent dans notre cas. La prévention est cruciale à l’ère des changements climatiques et anthropiques, la recherche et le suivi (monitoring) pouvant réellement aider à brosser un portrait juste de la situation.

Les chercheuses tiennent à rappeler l’importance d’un gouvernement réactif et préventif permettant de resserrer et d’améliorer les législations qui régissent les grandes entreprises pour prévenir et diminuer leur pollution plastique. Il importe également de financer davantage les efforts pour alimenter la recherche et la documentation locales de l’incidence du plastique dans l’environnement afin de mieux comprendre le Saint-Laurent et ainsi de mieux le protéger.

Photos Expédition Bleue

À propos des auteures


Anne-Marie Asselin, cheffe de mission et fondatrice de l’Organisation Bleue.



La complémentarité de l’esprit très créatif et scientifique d’Anne-Marie fait d’elle une leader exceptionnelle. Si on dit qu’une image vaut 1000 mots, une image vaut 1000 rêves pour cette passionnée. Toute jeune, elle a su comprendre que ses rêves allaient devenir réalité dans le monde de la biodiversité et de la conservation de l’environnement. Possédant une maîtrise en gestion de la biodiversité, des océans et des zones côtières et un baccalauréat en biologie marine, Anne-Marie a su se distinguer par son parcours interdisciplinaire. Elle possède de grandes aptitudes en communications, qui lui permettent aujourd’hui d'œuvrer notamment dans la vulgarisation scientifique et la création de contenus multimédia. Elle entreprend son grand voyage entrepreneurial au sein de l’économie sociale en 2017, en graduant de l’École des entrepreneurs du Québec. Maintenant fondatrice, présidente-directrice générale de l’organisme québécois « Organisation Bleue », Anne-Marie innove constamment dans le milieu des affaires et de la philanthropie. Son travail créatif aide à marquer l’esprit des gens et de la communauté, pour inspirer un changement en touchant le cœur des gens.


Laura Rowenczyk, scientifique responsable de l’étude des microplastiques au sein de l’Expédition Bleue.

Ingénieure et docteure en physico-chimie, Laura a développé au cours de ses recherches de solides connaissances dans le domaine des particules fines qui lui permettent d’évaluer leur impact sur notre biosphère. Toujours à mi-chemin entre la chimie et la biologie, Laura a effectué sa thèse de doctorat à l’Université du Havre (France) sur l’impact des nanoparticules de dioxyde de titane des crèmes solaires sur les bactéries de la peau. Depuis 2018, au CNRS puis à l'Université McGill, elle s’est attelée à développer des protocoles scientifiques pour caractériser les micro- et nanoplastiques dans les fleuves et les océans. Ses connaissances scientifiques pointues lui permettent ainsi de comprendre le cycle de vie des déchets plastiques et d’appréhender l’impact environnemental dont les conclusions ont déjà mené à la publication de 10 articles scientifiques. Au cours de ses divers projets, Laura a participé à plusieurs campagnes d’échantillonnage sur le terrain et à de multiples actions publiques dans le but de sensibiliser la société à ces enjeux environnementaux.


Viridiana Jimenez-Moratalla, conseillère en communication au RQM et membre de l’équipe au sein de l’Expédition Bleue.

Biologiste marine de formation, Viridiana compte plus de 15 ans d'expérience dans les domaines de la recherche et de la vulgarisation scientifiques. Elle détient un Baccalauréat en biologie marine de l’Université de Plymouth (Angleterre) et un diplôme d’études supérieures en évaluation et gestion de l’impact environnemental d’Oxford Brookes University. Sa passion pour la vulgarisation et l'éducation l’ont conduite vers le domaine de la communication environnementale visuelle, qu’elle a étudié auprès du Musée Royal de l’Ontario. Avec des compétences en vidéographie, photographie, design et communication, Viridiana combine son parcours scientifique avec la narration visuelle afin d’engager un public large. Elle travaille à améliorer la compréhension du public vis-à-vis des enjeux environnementaux, afin de favoriser le changement. Actuellement Conseillère en communication au Réseau Québec maritime (RQM), Viridiana contribue à mettre en valeur la recherche intersectorielle effectuée par les membres du Réseau.