Par Julie Gedeon

Perspective d'un chef de file sur l'évolution du programme en 15 ans - le regard de Ray Johnston

Q & R

Un chef de file de la première heure porte un regard sur l’évolution de l’Alliance verte depuis sa création

Le secrétaire général de l’Alliance verte, Ray Johnston, était président de la Chambre de commerce maritime lorsque l’idée de créer un programme environnemental pour l’industrie maritime a germé. Sa nomination comme premier président de l’Alliance verte (et ses autres mandats à ce titre pendant dix ans) ainsi que son engagement continu au sein de l’Alliance verte et de la Chambre de commerce maritime (qui est l’une des associations fondatrices) lui confèrent un point de vue unique au moment de souligner le 15e anniversaire du programme environnemental. Il s’est récemment entretenu avec la collaboratrice du Magazine, Julie Gedeon.

Quand avez-vous compris pour la première fois que cette initiative environnementale allait se concrétiser?

En 2005, un petit groupe de cadres de l’industrie s’était réuni pour la première fois. Nous savions déjà – et nous le répétions sans cesse aux médias – que le transport maritime était effectivement plus écologique que les autres modes de transport, mais le message ne passait pas. Nous avons compris qu’il ne suffisait pas de le répéter : il fallait plutôt trouver des moyens de le démontrer clairement. Le président de la Chambre de commerce maritime de l’époque, Guy Dufresne, était aussi le président de l’Association minière du Canada. Il avait souligné comment l’industrie minière réussissait à faire valoir efficacement ses efforts en matière de durabilité, et que l’industrie maritime pourrait s’inspirer d’un tel modèle. Et donc, le 31 mai 2005, une cinquantaine des plus hauts dirigeants de notre industrie s’étaient réunis dans la salle de conférence Dominic‑Taddeo du Port de Montréal, comme on l’appelle aujourd’hui, dans le but de discuter pour la première fois d’un effort concerté pour la durabilité dans la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent.

Pourquoi n’aviez-vous pas tout simplement demandé à la Chambre de commerce maritime ou à une autre association sectorielle de chapeauter cette initiative?

Les associations de l’industrie se concentrent principalement sur la défense des intérêts de leurs membres. Or, cette initiative ne visait pas à faire pression sur le gouvernement : il s’agissait plutôt de rassembler les acteurs de l’industrie pour relever des défis communs. Il s’agissait aussi – pour la première fois à ma connaissance – de mobiliser d’autres parties prenantes essentielles pour discuter des problèmes environnementaux et trouver des solutions réalisables, qu’il s’agisse des responsables gouvernementaux, des organisations environnementales ou encore de la communauté scientifique et universitaire.

À quel point étiez-vous convaincu que cette initiative allait se concrétiser?

On ne sait jamais, mais nous étions conscients qu’il fallait faire quelque chose. Les médias, et aussi les gouvernements dans une certaine mesure, insistaient presque toujours sur les aspects négatifs de notre industrie, en omettant l’importance économique vitale du transport maritime et ses avantages sur le plan environnemental par rapport à d’autres modes de transport.

L’initiative a rapidement reçu un large soutien de la part de l’industrie, et je crois que tout le monde a compris qu’il s’agissait d’un bon plan. Toutefois, il a fallu s’ajuster et voir les choses différemment.

Les gens de notre industrie devaient faire plus que simplement parler des problèmes environnementaux communs : ils devaient mettre de l’avant les mesures qu’ils prenaient ou qu’ils prévoyaient prendre à l’égard de ces problèmes, ce qui n’était certainement pas fréquent à cette époque-là. D’ailleurs, il était très rare qu’une compagnie puisse compter sur un gestionnaire chargé des questions environnementales, et la plupart des gens commençaient tout juste à s’intéresser à ces enjeux. Je pense que le programme de l’Alliance verte les a vraiment aidés à accélérer ce processus en leur donnant un cadre clair avec des objectifs, des questions prioritaires et la possibilité de comparer les performances particulières de leur entreprise.

Dans quelle mesure pensez-vous que l’Alliance verte a été un catalyseur pour changer la culture de l’industrie maritime en termes de collaboration tout en préservant la compétitivité?

Il ne me vient pas à l’esprit qu’une autre initiative bénéficie d’un tel niveau d’engagement et de coopération dans un secteur quelconque, surtout en collaboration binationale. Je ne connais pas non plus d’autres initiatives où les efforts sont aussi soutenus pour aborder les problèmes en misant sur une volonté de trouver et de mettre en œuvre de meilleures façons de faire.

Quelle est la « recette secrète »?

C’est la valeur.

L’Alliance verte a donné aux parties prenantes de l’industrie un forum pour discuter des questions environnementales et un cadre clair pour les aborder.

Je pense que les entreprises participantes ont trouvé un réel intérêt à discuter entre elles pour partager les meilleures pratiques et tester de nouvelles idées. Je ne pense pas que nous aurions pu accomplir autant si les entreprises avaient travaillé en vase clos sur ces questions. Le programme de l’Alliance verte fixe certains objectifs ambitieux, mais nous avons toujours écouté les intervenants pour nous assurer que les indicateurs de performance du programme étaient efficaces et réalisables.

Pensiez-vous que le programme s’étendrait au-delà des Grands Lacs et du Saint-Laurent en quelques années seulement?

Nous avons peut-être imaginé que c’était possible, mais nous sommes toujours restés très conscients de l’importance de ne pas laisser l’organisation s’étendre ou se développer trop rapidement. L’Alliance verte a commencé avec une petite équipe (et c’est encore aujourd’hui une petite équipe si l’on considère le nombre et l’envergure des effectifs), et la priorité a toujours été de maintenir la viabilité et l’efficacité de notre organisation avant de penser à l’élargir à d’autres régions géographiques, à de nouvelles catégories de participants ou à de nouveaux enjeux environnementaux. 

À quel point la mobilisation des membres des associations professionnelles de l’industrie a-t-elle été déterminante?

Les associations ont joué un rôle essentiel en faisant connaître l’Alliance verte et en rassemblant les gens pour qu’ils participent au programme et le fassent évoluer. Initialement, ce sont les représentants des six associations fondatrices qui occupaient les sièges au conseil d’administration de l’Alliance verte. Ils ont ainsi défini l’approche initiale de l’Alliance verte d’après la rétroaction d’un comité directeur, qui était composé des directeurs généraux des compagnies participantes. En 2012, on a convenu que c’étaient justement les directeurs généraux d’entreprises participantes qui devraient former le conseil d’administration afin que le programme soit véritablement dirigé par les meilleurs de l’industrie, et c’est encore la façon de faire aujourd’hui.

Comment l’Alliance verte facilite-t-elle la communication des efforts qui sont déployés par ses membres pour la durabilité environnementale?

C’est un bon outil, c’est sûr. Le rôle de l’Alliance verte n’a jamais été de se porter à la défense des intérêts de l’industrie, mais plutôt de montrer de manière factuelle les améliorations de la performance environnementale au sein de l’industrie en misant sur une approche transparente et crédible. Le programme facilite la tâche des associations de l’industrie en leur permettant d’exposer clairement les enjeux abordés par leurs membres, les progrès réalisés au fil du temps, les objectifs à venir et la mobilisation de toutes les parties prenantes dans la recherche de solutions.

Qu’avez-vous pensé de l’idée d’accorder une licence du programme de l’Alliance verte en Europe?

J’étais tout à fait d’accord! L’Alliance verte a été souvent consultée par des entreprises hors de l’Amérique du Nord, alors nous avions déjà des plans en vue d’une possible expansion vers de nouveaux marchés. Cette occasion de lancer Green Marine Europe est venue de la Fondation Surfrider Europe, qui avait fait des recherches exhaustives parmi les programmes existants pour la durabilité, et qui a conclu que le cadre de l’Alliance verte offrait le meilleur modèle pour les armateurs de l’Union européenne, et plus récemment pour les chantiers navals. Ce partenariat avec Surfrider fonctionne très bien, et nous voulons nous assurer que Green Marine Europe continue d’accroître ses effectifs tout en s’ajustant aux priorités et à la réglementation de l’UE en matière d’environnement. Il y a aussi de l’intérêt dans d’autres régions du monde, mais comme je l’ai dit précédemment, l’Alliance verte est toujours soucieuse de ne pas trop étirer ses ressources.

Comment entrevoyez-vous l’évolution de l’Alliance verte quant à son rôle en Amérique du Nord au cours des 15 prochaines années, surtout si l’on pense que pratiquement toutes les entreprises réservent maintenant des ressources, du personnel et des gestionnaires aux questions environnementales?

L’Alliance verte a connu une croissance impressionnante en termes d’adhésion au cours de ses 15 premières années, si bien qu’on y compte maintenant plus de 450 organisations au Canada, aux États-Unis et en Europe. Il y a encore beaucoup de possibilités d’élargir cette base dans tous les marchés que nous desservons actuellement, surtout avec le cadre évolutif du programme qui accueille diverses entreprises maritimes, peu importe où elles en sont dans leur cheminement vers la durabilité environnementale, en autant qu’elles s’engagent à s’améliorer continuellement.

De toute évidence, le programme devra aussi évoluer et s’adapter aux modifications réglementaires et aux changements climatiques. C’est sûr que la décarbonation est un défi titanesque pour l’industrie, à l’instar des autres secteurs du reste.

Il ne fait aucun doute que c’est en travaillant à l’unisson que nous mettrons toutes les chances de notre côté.

L’Alliance verte demeurera le lieu idéal pour discuter des défis communs pour les entreprises du secteur maritime, et pour travailler à la recherche de solutions. Les comités consultatifs et les groupes de travail de l’Alliance verte, ainsi que le colloque annuel GreenTech, permettent de partager un large éventail d’expertises, de renseignements et d’expériences. L’un des principaux atouts de l’Alliance, c’est de permettre aux personnes confrontées à des défis communs de créer des interrelations.

Qu’est-ce qui vous impressionne le plus parmi les retombées de ces 15 années d’existence de l’Alliance verte au sein de l’industrie?

Lorsqu’on assiste au colloque GreenTech, on sent tout de suite une belle énergie. On constate que le succès de l’Alliance verte résulte des efforts de tout le monde. L’Alliance a joué un rôle d’encadrement, mais ce sont les gens de toutes ces entreprises qui ont su montrer que l’environnement était une véritable priorité pour notre industrie. Les gens sont stimulés par les réussites qui sont mises de l’avant dans ces conférences, et ils veulent savoir comment ils peuvent y contribuer eux aussi.

L’Alliance a toujours eu la chance de compter sur l’encadrement et la solide gouvernance des chefs de file de l’industrie maritime au Canada et aux États-Unis. J’ai assisté à toutes les réunions du comité des directeurs généraux et aux réunions du conseil depuis 2005, et je peux vous assurer que toutes les rencontres ont été absolument positives et constructives. C’est une véritable chance de pouvoir compter sur autant d’administrateurs engagés, dévoués et prêts à assumer un tel rôle. Nos administrateurs sont de véritables leaders de l’industrie maritime nord-américaine, qui acceptent de consacrer beaucoup de temps à ce programme. Leurs connaissances et leur expertise au bénéfice de l’Alliance verte sont inestimables! Voilà une autre des réussites de l’Alliance verte, qui est énorme même si ça se reste parfois un peu dans l’ombre.

Bien sûr, une grande partie du mérite est également attribuable au leadership et au soutien de l’équipe de gestion de l’Alliance verte. Avec David Bolduc à la barre depuis 2008, et grâce à tous ceux et celles qui travaillent au sein de l’Alliance aujourd’hui ou qui y ont déjà travaillé, nous pouvons compter sur une équipe qui a contribué positivement – et continue de le faire – pour donner à ce programme une plus grande valeur durable.

Photos: Ray, à travers ses années de participation aux colloques de l'Alliance verte