Par Richard D. Stewart

Promouvoir la marque Alliance verte pour sensibiliser le public

Parlons sciences

Il faut des années, voire des décennies, pour élaborer et ratifier par traité les réglementations maritimes internationales. Bien souvent, ces réglementations apparaissent à la suite d’un accident ou d’un incident1. Par exemple, le déversement catastrophique du SS Torrey Canyon s’est produit en mars 1967, mais le code des Nations Unies sur la pollution marine concernant les rejets d'hydrocarbures en eaux internationales n’est entré en vigueur qu’en 1983 (Annexe 1 de la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires MARPOL)2.

Selon le World Resources Institute, les transports étaient responsables de 16,2 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, en 20163. L’Organisation maritime internationale (OMI) des Nations Unies s’efforce donc de réduire les émissions de CO2. Toutefois, tant qu’on n’aura pas instauré d’autres solutions énergétiques viables, la flotte mondiale continuera d’être principalement alimentée avec des carburants traditionnels, qui émettent des niveaux élevés de dioxyde de carbone. L’indicateur d’intensité de carbone (CII) de l’Annexe VI de la convention MARPOL (règlement CII) vise justement à accroître l’efficacité des transports en termes d’émissions de carbone par tonne-mille de port en lourd. En vigueur depuis le 1er janvier 2023, le règlement CII, définit les obligations auxquelles sont assujettis certains types de navires ayant une jauge brute égale ou supérieure à 5 000 tonnes, notamment les pétroliers, les vraquiers et les porte-conteneurs. 

Même s’il en coûtera plusieurs milliards de dollars à l’industrie maritime pour se conformer à ces nouvelles normes, il n’en demeure pas moins que le bilan résiduel des émissions de CO2 pèsera encore lourd sur la durabilité.

Le règlement de la CII représente une avancée importante sur le plan juridique, mais la simple conformité aux lois existantes ne garantit pas nécessairement le caractère durable des activités d’un navire.

Richard Stewart
Un dilemme de développement durable

Les armateurs qui souhaitent agir pour protéger l’environnement sont confrontés à un dilemme, compte tenu du fait que les transporteurs évoluent au sein d’un marché très concurrentiel et souvent instable4. En supposant que tous les autres facteurs soient égaux, les clients qui expédient des marchandises choisiront presque toujours le transporteur maritime le moins cher. C’est particulièrement vrai pour les marchandises en vrac de faible valeur, qui constituent la majeure partie du commerce maritime mondial en termes de tonnage et de volume.

Les exigences de l’OMI établissent les normes minimales applicables par l’État du pavillon. Les transporteurs internationaux peuvent exploiter leurs navires sous le pavillon d’un pays qui adhère aux normes minimales de l’OMI. Cette option permet donc aux transporteurs d’exploiter leurs activités en toute légalité selon les normes et les coûts les moins contraignants possibles au chapitre de la conformité environnementale. Il est relativement facile d’attribuer un pavillon à un navire, ouvrant ainsi l’accès au marché sous réserve de la disponibilité de la cargaison et du capital. Or, les pays qui exigent que leurs navires surpassent les normes minimales de l’OMI en matière de sécurité, de travail et de respect de l’environnement qui régissent les transporteurs sous « pavillon de complaisance » placent de facto les navires de leur propre pays dans une situation désavantageuse à court terme sur le marché.

De fait, les transporteurs (en particulier sur le marché au comptant de marchandises en vrac) refuseront généralement de payer plus cher pour un navire qui surpasse les exigences minimales de conformité environnementale. Dans le secteur maritime, les contrats qui régissent le transport de marchandises interviennent sous forme de connaissements pour le transport d’articles individuels, ou encore aux termes d’une charte-partie qui réquisitionne la totalité d’un navire. Dans les deux cas, les navires doivent être conformes à toutes les lois applicables. 

Historiquement, les chartes-parties n’exigeaient aucune conformité des activités en matière d’environnement, pas même conceptuelle. 

Richard Stewart

Même que certaines dispositions exigeaient le maintien d’une vitesse donnée, sauf en cas d’urgence (c’était le cas notamment de la clause de la « plus grande diligence » (utmost dispatch). On incitait ainsi les transporteurs à naviguer à pleine vapeur même en sachant qu’ils arriveraient avant la fenêtre de disponibilité du quai, et ce, afin de percevoir à l’arrivée une indemnité de surestaries5. En somme, les armateurs se trouvaient pénalisés si leur équipage ralentissait pour économiser du carburant ou réduire les émissions lorsqu’ils constataient que leur poste d’amarrage ne serait pas disponible6.

L’adoption de clauses uniformes dans les chartes-parties en faveur de l’environnement pourrait contribuer à uniformiser les règles du jeu. Créée en 1905, la BIMCO est une organisation non gouvernementale qui représente environ 60 % de la flotte mondiale7. Ses chartes-parties sont largement utilisées. Dix ans après l’entrée en vigueur de l’Indice de conception en matière d’efficacité énergétique de l’OMI, la BIMCO publiera cette année une nouvelle clause visant à aider les armateurs et les affréteurs à se conformer aux normes de l’OMI. Cette clause fixera un nouvel objectif pour les contrats d’affrètement, où l’accent n’est plus mis sur « la plus grande diligence pour atteindre un port », mais où les transporteurs peuvent plutôt optimiser les vitesses pour favoriser la réduction des émissions et le respect des nouvelles obligations sur l’indice de rendement énergétique des navires existants (EEXI) et l’indice d’intensité carbone (CII).

Ces changements – qui étaient nécessaires depuis longtemps – aideront grandement les armateurs à se conformer aux nouvelles réglementations, mais ils ne sont toutefois pas conçus pour surpasser les exigences de conformité.

Au-delà de la conformité

Les premiers pénalisés, ce sont souvent les pionniers de l’adoption volontaire des technologies ou des mesures de sécurité et de protection de l’environnement, qui perdent ainsi une part commerciale puisque les clients se tournent alors vers des transporteurs à meilleur prix. Pour rester concurrentiels, les transporteurs proactifs doivent généralement faire en sorte que les coûts liés à la conformité ne se répercutent pas sur les tarifs de transport de marchandises.

Afin de favoriser le caractère proactif de l’industrie maritime sur le plan environnemental, les parties prenantes ont donc créé et appuyé le programme volontaire de certification environnementale de l’Alliance verte, qui incite les acteurs du transport maritime à surpasser les exigences réglementaires de conformité.

Depuis sa création en 2007, le programme a attiré plus de 175 participants (armateurs, ports, terminaux, chantiers maritimes et corporations de la Voie maritime), et il continue de se développer. Le programme bénéficie également de l’expertise et du soutien de plus de 90 supporteurs, notamment des gouvernements, des instituts de recherche universitaires, des organisations environnementales et des groupes communautaires, qui influencent l’évolution du programme.

En 2004, l’Agence pour la protection de l’environnement des États-Unis (EPA) a créé le partenariat volontaire « SmartWay », soit un programme public-privé de réduction de la consommation de carburant. Depuis, cette initiative s’est étendue également au Canada. Comptant plus de 3 700 membres (dont des transporteurs, des expéditeurs et des fournisseurs tiers, tels que des transitaires), il a permis de réaliser d’impressionnantes économies de carburant. Cependant, seuls trois exploitants de barges sont affiliées à Smartway. L’élargissement de cette initiative au mode maritime s’avère complexe parce que les navires battant pavillon américain ne représentent qu’une infime partie de la flotte mondiale.

L’engagement des partenaires de Smartway est mise en évidence grâce au marquage des véhicules.

Cependant, la plupart des consommateurs ne connaissent pas la valeur du logo Smartway puisque la majorité d’entre eux ne tiennent pas compte du mode de transport d’un produit dans leur décision d’achat.

Susciter l’adhésion du consommateur

Pourquoi sensibiliser les consommateurs à l’égard des transporteurs qui surpassent la conformité réglementaire sur le plan de l’environnement? Par les choix qu’ils font, les consommateurs influencent le volume de production des marchandises que les navires transportent. Ils ont la possibilité de dénoncer ou de boycotter des entreprises dont les activités ne sont pas durables ou dont les pratiques de travail sont déloyales. Les consommateurs incitent au changement en manifestant leur volonté de payer davantage pour des pratiques d’agriculture durable ou de commerce équitable.

Les entreprises qui surpassent le stade de la conformité minimale aimeraient être récompensées par le comportement des consommateurs. Pour montrer qu’elles respectent les normes rigoureuses des agences de certification non gouvernementales, ces entreprises proactives mettent en relief leurs certifications, qui relaie directement leurs accomplissements aux consommateurs. Cette reconnaissance « au détail » permet de connecter et de responsabiliser les consommateurs relativement aux processus de fabrication d’un produit.

Étiquetage indiquant qu’un produit a été fabriqué conformément aux exigences du commerce équitable et de l’agriculture biologique du Département américain de l’Agriculture.

Les clients peuvent donc influencer le processus de production en manifestant leur volonté d’acheter des produits certifiés, et même de payer un coût unitaire supérieur à celui des marques non certifiées.

La marque illustrée ici certifie qu’un producteur adhère au processus commercial du triple bilan (Triple Bottom Line), qui devrait comporter des mesures soulignant les contributions à la santé environnementale, au bien-être social et à une économie équitable.

L’augmentation des parts de marché et des revenus récompense ainsi les pionniers qui acceptent de surpasser la simple conformité légale. L’intérêt du système réside dans le fait qu’un client peut comparer les produits et prendre des décisions éclairées, même si le processus de production se déroule sur un autre continent. Une étude réalisée en 2021 révélait que les clients étaient prêts à payer jusqu’à 35 % de plus pour un produit certifié comme issu du « commerce équitable ».

La perception des marques chez les consommateurs américains s’avère très positivement influencée par la certification « Commerce équitable » : 80 % des acheteurs américains sensibilisés au commerce équitable verraient d’un œil plus favorable une marque portant son sceau de certification (comparativement à 76 % en 2019) 8.

Étude 2021, Fairtrade America

Cependant, l’opinion publique est encore très ambivalente quant aux programmes de certification, ce qui s’explique en partie par une certaine « lassitude des labels », où les consommateurs sont quelque peu déconcertés par la panoplie de plus de 460 certifications de « développement durable » instaurés depuis l’émergence du commerce équitable, en 1988. Pour influencer le public, il faut miser sur la clarté et la crédibilité d’un programme de certification, ainsi que sur sa valeur.

Quant à elles, les entreprises s’inquiètent du peu d’information documentée sur la façon dont se transposent concrètement les primes qu’elles paient pour les produits étiquetés « Commerce équitable » en matière de développement durable. Elles sont soumises à des pressions croissantes de la part des clients, des gouvernements, des institutions financières et des investisseurs pour adopter et documenter leurs activités durables.

Il reste encore beaucoup à faire du côté de la certification environnementale en termes d’image de marque des produits.

Richard Stewart
La certification de la durabilité maritime

Dans les faits, la plupart des consommateurs ne savent pas comment leurs marchandises sont expédiées. Pour la quasi-totalité des utilisateurs finaux, le système de transport demeure obscur. Le manque de sensibilisation, d’éducation et d’intérêt des consommateurs a créé une sorte de fossé entre les gens et le rôle essentiel du transport dans la chaîne d’approvisionnement. Une partie de ce désengagement est compréhensible étant donné que les utilisateurs finaux n’ont généralement aucune influence sur la sélection des services de transport. Bien qu’il soit déraisonnable de s’attendre à un engagement direct des utilisateurs finaux dans la prise de décision, la stratégie d’une marque pour le développement durable pourrait donner aux consommateurs une certaine influence sur les choix en matière de transport.

Ainsi, l’industrie maritime pourrait envisager d’apposer des logos sur les emballages de consommation indiquant que les marchandises sont expédiées par un transporteur soucieux de la durabilité et dont les mesures environnementales surpassent les exigences minimales de conformité. La commercialisation d’un logo de durabilité maritime offrirait aux consommateurs la possibilité de choisir un produit notamment parce qu’il est expédié par un moyen de transport plus écologique. Les consommateurs pourraient ainsi influencer le choix du mode de transport utilisé pour acheminer les produits qu'ils désirent.

 

L’image de marque permettrait également aux expéditeurs de recenser et de choisir les transporteurs dont l’engagement en faveur du développement durable est évalué.

 

Étant donné l’histoire du commerce équitable, l’organisme de certification maritime devrait tenir compte de certaines considérations essentielles. Les objectifs de cet organisme devront être clairs, réalisables et actualisés pour faire écho aux nouvelles technologies et aux découvertes scientifiques. Ces objectifs doivent être ambitieux aux yeux des entreprises, des investisseurs et des consommateurs : les objectifs facilement réalisables et qui ne font pas progresser l’industrie maritime en termes de développement durable ne sont ni viables ni appréciables.

Les normes doivent être appliquées uniformément. Les actions des membres pour atteindre des objectifs ou s’en rapprocher doivent être mesurables, et les résultats doivent être communiqués régulièrement en termes intelligibles.

À cet égard, il est essentiel de privilégier les audits réalisés par des tiers pour garantir la crédibilité et l’intégrité du processus, comme l'exige déjà le processus de certification de l'Alliance verte.

Richard Stewart

La certification doit être reconnue par toutes les parties comme une réalisation appréciée qui doit être renouvelée régulièrement.

Si l’Alliance verte cherche à obtenir le soutien des consommateurs grâce à une image de marque, il s’agira sans aucun doute d’une entreprise exigeante. Il faudra convaincre les transporteurs des avantages de la marque, et instaurer des campagnes de marketing pour informer les consommateurs. Après un éventuel dévoilement initial de la marque, il faudra également poursuivre la sensibilisation dans une moindre mesure. L’idéal pour l’Alliance verte serait d’obtenir le soutien des gouvernements, des transporteurs, des ONG et des groupes de pression à l’égard d’une image de marque qui mettra clairement en relief les entreprises qui surpassent la simple conformité réglementaire au chapitre environnemental.

Richard D. Stewart, Ph. D., est professeur émérite en transport et en logistique à la University of Wisconsin Superior.

Enseignant chevronné aux États-Unis et à l’étranger, il a agi comme principal responsable de projets de recherche interuniversitaires du domaine des transports totalisant plus de 10 millions de dollars. À bord de navires de marchandises, il a su gravir les échelons jusqu’à devenir commandant de plusieurs navires hauturiers. À terre, il a également acquis de l’expérience à titre de gestionnaire de flotte, d’inspecteur de fret et de capitaine de port. M. Stewart détient une certification en transport et en logistique. Il a également servi pendant 30 ans dans la Réserve navale américaine, où il a obtenu le grade de capitaine.

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Références: 

1. Stewart, Richard, « Chapter VII-Maritime Safety and Environmental Regulations », The World Market and US Shipping Policies, Quorum Books, New York, avril 1996.

2. Organisation maritime internationale, « MARPOL Annexe I – Prévention de la pollution par les hydrocarbures »  https://www.imo.org/fr/OurWork/Environment/Pages/OilPollution-Default.aspx (page consultée le 18 novembre 2022).

3. Ritchie, Hanna, « Sector by sector: where do global greenhouse gas emissions come? »  https://ourworldindata.org/ghg-emissions-by-sector  (page consultée le 30 novembre 2022).

4. Citation et exemple

5. Collins Dictionary of Law © W.J. Stewart, 2006 : « Les surestaries représentent la somme des indemnités payables à l’armateur aux termes d’un contrat d’affrètement pendant le temps qu’un navire est retenu pour le chargement. »  [traduction]

6. Kenny, Mathew, « Can reforming charter party agreements lead to greener shipping? », Thetius, avril 2021, https://thetius.com/greening-the-charter-party/  (page consultée le 15 décembre 2022).

7. BIMCO,  https://www.bimco.org/about-us-and-our-members  (page consultée le 12 novembre 2022).

8. Fairtrade America, « New study reveals Fairtrade America is gaining awareness and trust in the U.S. », 27 juillet 2021, https://www.fairtradeamerica.org/news-insights/new-study-reveals-fairtrade-america-is-gaining-awareness-and-trust-in-the-u-s/#:~:text=The%20Fairtrade%20Mark%20has%20a,versus%2076%25%20in%202019).