Les Nations Unies ont récemment sélectionné Whale Seeker, un partenaire de l’Alliance verte basé à Montréal, parmi les 10 meilleurs projets d’intelligence artificielle (IA) au monde pour la réalisation des 17 objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU.
L’initiative Whale Seeker mise sur l’IA pour simplifier la surveillance des baleines et d’autres espèces marines. On y crée des outils de détection visuelle automatisés, rapides, précis et faciles à utiliser afin de connaître la situation géographique d’une espèce, ainsi que son habitat, ses activités et ses déplacements. Ces outils contribuent à éviter des collisions avec les navires et à déterminer s’il faut interdire temporairement la pêche dans certaines zones.
Lorsqu’elle a appris la nouvelle, la cofondatrice et directrice générale de Whale Seeker, Emily Charry Tissier, a littéralement crié de joie : « C’est très gratifiant que notre initiative soit reconnue à un niveau aussi important, parce que ça prouve que notre solution d’intelligence artificielle permet d’accomplir des progrès quantifiables et appréciables en vue de réaliser les objectifs de développement durable 13 et 14 relatifs à la vie aquatique et au climat, » explique-t-elle.
Et c’est d’autant plus important que l’ODD sur la vie aquatique est le moins bien financé de tous.
L’un de ces outils, appelé Möbius, peut détecter les mammifères marins 25 fois plus vite que l’œil humain : le logiciel peut évaluer 5 500 images en 53 heures, ce qui prendrait 1 300 heures à un humain. À partir d’images aériennes, Whale Seeker aide ses clients à obtenir les données dont ils ont besoin.
« Nous discutons d’abord avec les représentants scientifiques de nos clients pour savoir ce qu’ils ont déjà utilisé en termes d’imagerie captée par avion, drone ou satellite, et pour déterminer les données particulières dont ils ont besoin pour leur analyse ou leurs décisions », ajoute Mme Charry Tissier.
Dans son traitement initial des données, l’algorithme de Möbius recense un certain nombre d’images (par exemple une cinquantaine sur dix mille) qui nécessitent une expertise humaine d’appoint, ce qui permet de préciser le tableau qui sera soumis à l’IA. « L’ensemble des données est alors nuancé selon cet apport de renseignements, et l’algorithme recommence tout, explique Mme Charry Tissier. Cela évite aux chercheurs de passer des heures à vérifier des images où il n’y a en fait aucun mammifère marin, et ils peuvent alors se concentrer sur l’endroit où ceux-ci se trouvent réellement et sur leurs activités courantes. »
Afin d'éviter les collisions avec les navires, Whale Seeker voudrait rendre ses données d’IA disponibles en temps réel dès cet été.
À l’heure où l’IA est scrutée sous tous ses angles dans le monde entier, les fondateurs de l’entreprise sont ravis de voir que les experts en IA mandatés par l’UNESCO reconnaissent la rigueur éthique dont fait preuve Whale Seeker pour la création et l’utilisation de l’IA, ainsi que les critères de diversité et d’inclusion appliqués dans la composition de l’équipe appelée à utiliser ses outils d’IA.
À l’échelle mondiale, Whale Seeker est la première entreprise ayant une certification B Corp à mettre l’IA au service de la faune et de la flore.
« Notre entreprise à but lucratif est assujettie à une évaluation rigoureuse au chapitre des pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), précise Mme Charry Tissier. Toutes nos informations sont répertoriées sur le site de B Corp, y compris notre politique sur l’inclusion et la diversité en matière d’embauche à l’interne, le ratio d’écart salarial entre nos employés les mieux et les moins payés, nos pratiques d’affaires avec des entreprises détenues par des minorités et des femmes, ainsi que les mesures que nous prenons pour redonner à la collectivité. »
Whale Seeker encourage tous ses employés à prendre chaque année une journée payée pour faire du bénévolat selon leurs propres intérêts. « Certains ont travaillé bénévolement à l’école de leurs enfants par exemple, tandis que d’autres ont donné un coup de main dans des bureaux de vote », explique-t-elle.
En tant qu’entreprise ayant une certification B Corp, Whale Seeker a l’obligation de tenir compte de toutes les parties prenantes dans chacune de ses décisions – et pas seulement ses actionnaires. « Cela nous oblige à réfléchir à l’avance à toutes les implications éventuelles de nos décisions, souligne Mme Charry Tissier. Nous évaluons tous les risques et toutes les ramifications potentielles avant d’aller plus loin. »
En matière d’éthique, l’entreprise va même jusqu’à définir une politique sur la confidentialité des données de ses clients. « Ces renseignements leur appartiennent et doivent rester privés, » précise-t-elle.
Voilà le genre de décisions éthiques qu’il faut prendre pour s’assurer que l’IA demeure une ressource positive.
C’est pendant son congé de maternité qu’Emily Charry Tissier a eu l’idée de tirer parti de l’IA. Elle-même écologiste communautaire, elle travaillait alors avec son mari, le biologiste marin Bertrand Charry, pour mettre à profit les travaux de recherche de ce dernier dans le cadre d’une bourse de WWF-Canada sur les espèces arctiques. « Il avait créé un protocole pour normaliser la détection des nouveau-nés narvals et bonifier les données grâce à l’imagerie aérienne en vue de déterminer leur sexe et de mieux connaître la façon dont ces animaux mangent, se déplacent, socialisent et utilisent leur habitat », raconte-t-elle.
Dans le cadre de ce protocole, les images ont notamment servi à planifier la plus grande aire marine protégée du Canada, soit l’aire marine nationale de conservation Tallurutiup Imanga, dans le détroit de Lancaster, au Nunavut. « Grâce à l’imagerie, on a pu cibler les habitats essentiels et les zones qui méritaient plus de protection ou de surveillance, » explique Mme Charry Tissier.
En voyant qu’il nous fallait examiner 6 000 images pour analyser les données et rédiger ensuite un rapport, on s’est dit qu’il y avait sûrement une meilleure solution!
Or, en discutant avec ses collègues, elle a découvert qu’une telle solution n’existait pas. « Nous avons réalisé qu’il s’agissait d’un véritable problème pour les scientifiques spécialistes des mammifères marins et d’autres biologistes de la faune dans de nombreux secteurs d'activité, et qu’aucun d’entre eux n’avait le temps ni le demi-million de dollars nécessaire pour créer un modèle sur mesure d’IA. En plus, ils n’avaient pas les ressources pour faire fonctionner ces algorithmes avec l’expertise et la maintenance nécessaires. Alors on a pensé : pourquoi ne pas créer et maintenir ces algorithmes pour eux, et proposer un tel service? », raconte Mme Charry Tissier.
Cette dernière était justement à la recherche d’un développeur pour l’entreprise lorsqu’elle a fait la rencontre d’Antoine Gagné-Turcotte au parc canin, alors que leurs animaux de compagnie respectifs couraient après la même balle. Leur discussion s’est avérée fructueuse puisque M. Gagné-Turcotte a finalement complété le trio de cofondateurs, en 2018.
L’équipe de Whale Seeker s’attend à un horaire très chargé au cours des prochains mois, puisque le Centre international de recherche sur l’intelligence artificielle de l’UNESCO a manifesté son intérêt pour collaborer avec Whale Seeker dans la préparation de ses activités de sensibilisation du public.
L’entreprise compte actuellement neuf employés et prévoit aussi d’augmenter prochainement ses effectifs pour mieux répondre à l’intérêt éventuel des armateurs (y compris les croisiéristes), des ports, des organismes gouvernementaux ainsi que des experts-conseils en environnement dans le cadre d’initiatives favorables à la santé des océans.
« Notre équipe pluridisciplinaire comprend des scientifiques marins et des experts en IA afin de fournir les données nécessaires pour prendre des décisions importantes concernant la vie marine, conclut Emily Charry Tissier. Nous nous concentrons actuellement sur les eaux nord-américaines, mais nous avons aussi des pourparlers avec de nombreux intervenants en Europe et au Royaume‑Uni. »
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