Par Julie Gedeon

Le PIER et Washington Maritime Blue redéfinissent la pensée inventive

Innovation

Les technologies de plus en plus complexes, intégrées et en évolution rapide, nécessaires pour maximiser l’efficacité des transports dans le cadre d’un avenir sans carbone, changent l’essence même de la façon dont l’innovation est abordée. Le laboratoire vivant PIER (Port Innovation, Engagement and Research) mis en place par le Port d'Halifax, participant à l'Alliance verte, ainsi que les programmes d'incubation et d'accélération proposés par Washington Maritime Blue, membre association de l’Alliance verte, sont d'excellents exemples des réalisations possibles avec une synergie des parties prenantes.

Au début de novembre, une nouvelle plateforme d’intelligence artificielle (IA) élaborée et testée au PIER a remporté le prix 2023 de la transformation numérique décerné par l’Association internationale des ports (AIP). Cette initiative privilégie la tendance actuelle à l’innovation collaborative en vue d’améliorer la chaîne d’approvisionnement maritime à l’échelle mondiale.

L’Administration portuaire d’Halifax s’est associée à la société BlueNode, à PSA Global, au Port de Saint John, au fonds canadien Ocean Supercluster et à Sentient Hubs pour créer cette plateforme d’IA en vue de recenser en temps quasi réel les émissions de carbone par conteneur et par tonne de marchandise.

Ces données nous aideront à cibler ensemble certains domaines favorables à des investissements pour réduire plus rapidement les émissions de carbone, en particulier dans les corridors de transport maritime

David Thomas, PIER

Le projet DEF2 (Data Enhancement Framework 2) s’inscrit dans la mission du PIER, qui consiste à tester des solutions dans un environnement portuaire opérationnel en milieu riverain et terrestre dans le but d’accroître l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement maritime et d’améliorer sa visibilité, sa résilience et sa durabilité au bénéfice de toutes les parties prenantes.

Parmi la cinquantaine de membres du PIER, certains planchent sur divers projets pour la décarbonation de la chaîne d’approvisionnement, qu’il s’agisse d’autres solutions basées sur les données ou encore de l’électrification maritime en passant par la production et la gestion de l’hydrogène. À titre d’exemple, la start-up d’Halifax Integrative Nanotech se consacre à la production de capteurs de fuites d’hydrogène de nouvelle génération, qui seraient à la fois plus sensibles et plus abordables. De même, Glas Ocean Electric, également basée à Halifax, a reçu un financement majeur afin de développer son système de propulsion électrique hybride pour les bateaux de service.

D’autres initiatives misent par ailleurs sur le renforcement des liens d’interdépendance entre une ville portuaire et sa collectivité, afin d’améliorer la durabilité sur le plan économique, social et environnemental.

Dans bien des cas, les projets naissent lorsqu’un membre fondateur ou un représentant sectoriel soulève un problème. Le comité directeur de l’innovation du PIER classe ensuite ces énoncés de problème par ordre de priorité, et d’autres membres se penchent enfin sur l’élaboration de solutions novatrices.

Le comité examine également les idées présentées directement par les innovateurs afin d’évaluer leurs avantages potentiels. « Il s’agit d’un effort concerté pour déterminer ce qui devrait être prioritaire pour un impact maximal, et voir ce qui s’arrime le mieux avec nos ressources existantes », explique le directeur général du PIER, David Thomas.

Pour le DEF2, les administrations portuaires et les terminaux concernés avaient besoin de meilleures données afin de mieux cibler les réductions de carbone le long des routes navigables.

Nous avons comme objectif de résoudre des problèmes réels qui touchent la chaîne d’approvisionnement ici même à Halifax, mais en misant sur des solutions applicables à l’échelle mondiale. Ce qui nous excite vraiment dans le projet DEF2, c’est son applicabilité à d’autres corridors maritimes

David Thomas, PIER

Les membres du PIER qui élaborent des solutions peuvent envisager de les élargir pour les proposer sur le marché mondial. Les fournisseurs de solutions ont accès à l’initiative à condition de faire preuve d’innovation, peu importe le stade de leur projet commercial. Le PIER ne s’occupe pas des aspects liés à la propriété intellectuelle ou aux intérêts commerciaux. « Nous avons des collaborations, notamment avec Springboard Atlantic, et nos partenaires ont accès à des conseils sur la propriété intellectuelle et les aspects commerciaux, mais le PIER ne gère pas ces aspects-là », souligne M. Thomas.

Le PIER mise sur la collaboration pour bâtir et approfondir la confiance entre ses partenaires.

C’est d’ailleurs cette confiance qui a conduit à une collaboration entre l’Administration portuaire d’Halifax, le CN et l’exploitant de terminal PSA Halifax pour créer un centre d’exploitation commun par l’entremise du PIER.

« Nous avons d’abord établi une vision commune et une confiance suffisante pour conclure un accord de partage de données touchant la confidentialité des renseignements, et nous pouvons désormais travailler à une meilleure intégration, décider comment mieux planifier ensemble les arrivées de navires et relever les atouts nécessaires pour accroître l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement pour ces trois partenaires », explique Michael Davie, vice-président de l’exploitation à l’Administration portuaire d’Halifax.

Son point de vue est aussi celui de Jonathan Chia, qui dirige le développement commercial et institutionnel de PSA Halifax, et de Mohit Bhat, vice-président chargé des solutions numériques, de l’innovation et la transformation infonuagique au CN.

Dans certains cas, le PIER agit comme gestionnaire de projet, comme lorsqu’on a voulu faire le pont entre des besoins d’infrastructure existants et la possibilité de tester des technologies émergentes à bord de navires autonomes avec Marine Thinking.

Il a fallu seulement neuf jours au centre d’exploitation du Port d’Halifax pour instaurer le cadre réglementaire nécessaire pour mettre à profit ce navire entièrement électrique et autonome en situation réelle, où il s’agissait en fait d’effectuer un relevé sonar de certaines de nos infrastructures

Corey Gleason, Port d'Halifax

Déterminé à élargir sa portée et ses liens internationaux, le PIER a récemment annoncé la formation d’un réseau mondial de centres d’innovation actuellement en phase de conception, en collaboration avec le Port de Hambourg et le Port de Valence. « Ça nous permettra de trouver des innovateurs et des solutions pour accélérer l’adoption et la mise en œuvre d’améliorations de la chaîne d’approvisionnement maritime à l’échelle mondiale », explique M. Thomas.

Le PIER proposera une visite aux délégués inscrits au colloque GreenTech 2024.

Washington Maritime Blue aide les entreprises d’ici et d’ailleurs à s’intégrer à l’économie bleue

Les innovations soutenues par les ressources de Washington Maritime Blue incluent CargoCheck, une nouvelle plateforme logistique qui aide les fabricants et les transporteurs à accroître la précision, la sécurité et l’efficacité dans la livraison des produits chimiques.

La fondatrice de cette société technologique, Kathy Green, a apprécié son expérience auprès de l’initiative Maritime Blue Ventures, où elle a été rapidement mise en contact avec tout un réseau d’intervenants désireux de lui fournir l’aide dont elle avait besoin.

S’ils ne savaient pas personnellement comment faire quoi que ce soit, ils connaissaient quelqu’un qui savait le faire

Kathy Green, CargoCheck

CargoCheck fait partie des quelque 56 start-ups qui en sont actuellement à différents stades de leur développement, après avoir reçu l’aide du programme Washington Maritime Blue au cours des quatre dernières années, de l’étape de la conception jusqu’à la commercialisation. Grâce à deux incubateurs (à Tacoma et à Seattle) et à deux programmes d’accélération, ces jeunes entrepreneurs ont directement accès à un réseau d’experts pour les aider à intégrer leurs produits ou services au sein l’économie bleue dans l’État de Washington.

« Ces start-ups touchent autant aux technologies de capture du carbone qu’aux solutions numériques pour l’exploitation des terminaux, en passant par la production de collations durables à base de varech », explique Joshua Berger, président-directeur général de Washington Maritime Blue.

Kathy Green travaillait dans l’industrie des produits chimiques depuis plus d’une vingtaine d’années lorsqu’un incident particulier l’a incitée à créer CargoCheck. Un travailleur essentiel avait alors parcouru 563 kilomètres depuis le Port de Vancouver, dans l’État de Washington, jusque dans l’ouest de l’Idaho pour se rendre compte qu’il ne disposait pas de l’équipement approprié pour décharger les produits chimiques qu’il transportait. « S'il l’avait fait, ça aurait été très dangereux », explique Mme Green.

Cet incident l’avait incitée ainsi que son équipe à demander aux développeurs comment ils pourraient contribuer à éviter des erreurs coûteuses, voire dangereuses. Plus d’une centaine de personnes avaient alors fait part de leurs idées sur les moyens de faciliter leur travail et sur les possibilités de miser sur l’infonuagique afin d’améliorer l’interconnectivité entre les services, les instances de réglementation, les fuseaux horaires et les langues.

« D’abord, chaque citerne possède un code QR unique afin de s’assurer que l’on charge ou décharge le bon produit, explique-t-elle. Dès qu’un chauffeur de camion ou qu’un opérateur de barge scanne ce code, il peut voir sur son téléphone intelligent ou sa tablette le produit chimique transporté, les procédures réglementaires correspondantes, la destination prévue et d’autres renseignements essentiels, et ce, dans sa propre langue. »

La numérisation des documents prise en charge par la plateforme technologique à chaque étape contribue à remplacer la paperasse, ce qui permet d’améliorer l’efficacité, la traçabilité et la responsabilité.

Grâce à cette plateforme, tous les intervenants ont donc accès à l’ensemble des renseignements au fil du processus, tant du point de vue de la sécurité que de leur manipulation. « Nous veillons à ce que toutes les personnes concernées disposent des mêmes renseignements et au même moment, qu’il s’agisse des représentants du service à la clientèle, des gestionnaires de comptes, des répartiteurs, des directeurs d’usine ou des responsables de la sécurité », explique M. Green.

À l’heure actuelle, CargoCheck est mis à l’essai pour le transport par vraquiers, wagons-trémies, véhicules à plateforme et camionnettes, ainsi que par conteneurs et conteneurs-citernes normalisés.

« Ce que le volet d’accélération de Washington Maritime Blue a fait de plus utile dans mon cas, c’est de me mettre immédiatement en lien avec des personnes capables de me dire à qui m’adresser pour protéger le mieux possible ces informations évidemment sensibles, souligne Mme Green.

C’est vraiment formidable de voir que tout le monde se mobilise pour vous trouver les bonnes personnes pour la prochaine étape de votre jeune entreprise

Kathy Green, CargoCheck

D’ici la fin de l’année, Maritime Blue Innovation entend inviter de nouveaux candidats à se joindre à la cinquième vague du programme de démarrage.

Ceux qui seront admis auront l’occasion d’interagir avec plus de 120 membres du regroupement pour s’entraider dans le cadre de projets pilotes, d’évaluations de recherche, d’analyses de marché ou de développement d’entreprises.

« Nos membres sont à la recherche de nouvelles solutions pour l’économie bleue, et aussi d’occasions commerciales bien souvent. Ils ont donc intérêt à aider ces projets à atteindre le stade de la commercialisation, explique Joshua Berger.

Ce qui distingue notre programme, c’est que nous aidons à bâtir ces liens clés pour les jeunes entreprises en démarrage

Joshua Berger, Washington Maritime Blue

Washington Maritime Blue propose par ailleurs des volets d’accélération pour les entreprises existantes à fort potentiel de croissance, ainsi qu’une initiative nommée One Ocean Accelerator destinée aux entreprises internationales souhaitant pénétrer le marché américain.

« Le programme One Ocean Accelerator s’appuie sur nos relations avec les agences de développement international, explique M. Berger. Nous nous associons donc à des organismes tels que Business Finland, Innovation Norway et le centre sud-coréen K-Startup pour nouer des liens avec des entreprises prêtes à s’implanter aux États-Unis, que ce soit avec des partenaires stratégiques ou dans le cadre d’un projet pilote. »

Huit entreprises y ont déjà participé. « La société finlandaise Rewake a récemment annoncé son partenariat avec Argosy Cruises dans l’État de Washington afin de tester ses outils de gestion des données prévisionnelles pour les navires aux États-Unis », ajoute M. Berger.

L’innovation conjointe constitue un autre aspect important. En ce sens, Washington Maritime Blue aide à diriger ou à réunir de jeunes projets de développement et des initiatives de marché stratégiques dans le cadre de démonstrations inédites fondées sur une approche collaborative.

L’une de nos principales collaborations a été le projet Quiet Sound, qui s’inspire du programme ECHO du Port de Vancouver, en Colombie-Britannique

Joshua Berger, Washington Maritime Blue

« Nous en sommes à notre deuxième année d’incitation au ralentissement des navires pour réduire le bruit sous-marin dans les eaux du Puget Sound afin de protéger les épaulards résidents du sud, une espèce menacée, et ce, grâce à un comité directeur diversifié impliquant des représentants sectoriels, des partenaires fédéraux, des collectivités autochtones et des ONG. »

La plus récente innovation conjointe est axée sur l’ensemble des aspects de la chaîne d’approvisionnement pour appuyer le développement d’installations éoliennes hauturières le long de la côte Ouest des États-Unis. « Nous avons lancé le comité directeur au début de l’automne, et celui-ci supervisera l’ensemble des travaux de R et D pour la planification, l’élaboration et la mise en œuvre stratégiques dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement relativement à la construction, au déplacement et à l’exploitation de ces éoliennes flottantes pour une énergie plus propre, ainsi que pour le développement de la main-d’œuvre nécessaire à tout cela », conclut M. Berger.