Par Julie Gedeon

L’ACIMCN constate un optimisme renouvelé

Q & R

L’Association canadienne des industries marines et de la construction navale (ACIMCN) fait partie des associations membres de l’Alliance verte depuis 2022. Misant sur les assises de l’entité qui représentait auparavant le secteur de la construction navale au Canada, l’ACIMCN a su se développer en intégrant de nouveaux volets sectoriels diversifiés, comme ceux de la conception, de la construction et de l’équipement navals, dans le but d’offrir une voix forte à ses membres à l’échelle nationale. Le président de l’Association, Colin Cooke, s’est entretenu avec notre collaboratrice Julie Gedeon pour discuter du passé de l’industrie, de ses défis actuels et de son avenir prometteur.

Comment l’Association a-t-elle vu le jour en 2018?

Ses origines remontent à 1945, lorsque les propriétaires des 15 chantiers navals du Canada avaient commencé à réfléchir à la suite des choses après la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle ils avaient construit environ un millier de navires marchands ou de guerre et plus de 5 000 autres embarcations, sans compter les milliers de réparations. Ils avaient alors fondé l’Association de la construction navale du Canada, qui a connu ses bonnes et moins bonnes années avant de tomber pratiquement au neutre. En 2010, le gouvernement canadien a annoncé la Stratégie nationale de construction navale, soit un plan à long terme visant à renouveler les flottes fédérales destinées ou non au combat. Dans le sillage de cette annonce, certaines compagnies ont eu l’impression qu’il manquait une voix nationale pour relayer les préoccupations, les idées et les possibilités de l’industrie. Ils ont donc convenu de débourser des fonds pour ressusciter l’organisation initiale, et leur premier constat a été que l’ancienne appellation ne reflétait pas l’ensemble des membres.

Qui fait partie de vos effectifs aujourd’hui?

Ce sont toutes les entreprises canadiennes engagées entre autres dans la conception architecturale initiale, les stratégies d’ingénierie, l’acquisition des matériaux et des équipements, la construction en tant que telle, l’entretien, la réparation et parfois la modernisation ou le prolongement de la durée de vie d’un navire, sans oublier les activités de recyclage en fin de vie utile.

Quelles sont les priorités de l’Association?

Je dis souvent à la blague à ceux et celles qui sont dans le métier depuis longtemps que si tout se passe encore comme prévu après 9 h le matin, c’est qu’on est probablement dimanche…

Il y a tellement à planifier, à commander, à programmer, à acheter et à superviser pour remporter un seul appel d’offres et livrer le projet dans les délais et le budget impartis.

Ces tâches laissent souvent peu ou pas de temps ou de ressources pour dire aux autres ce que l’on peut faire pour eux. C’est à cause de tout cela – et de l’immensité du Canada – que le marketing est un véritable défi dans notre industrie. J’essaie avant tout de créer des liens entre les entreprises ayant des intérêts communs, surtout s’il y a de bonnes occasions d’affaires. Ma deuxième priorité est de veiller à ce que notre industrie entretienne un bon dialogue avec tous les organismes gouvernementaux concernés. Et troisièmement, c’est de chercher des occasions de faire profiter l’expertise canadienne à l’étranger.

À quel point l’expertise du Canada a-t-elle bonne réputation à l’heure actuelle?

Il reste du travail pour faire comprendre à tout le monde que nous sommes de retour! Le Canada ne s’est pas rendu service en mettant en veilleuse les nouveaux projets de construction navale après la livraison des frégates de classe Halifax, en 1996. Par la suite, beaucoup d’experts de l’industrie et de gens de métier qualifiés ont soit pris leur retraite, soit changé de domaine, soit quitté le Canada. La Stratégie nationale de construction navale nous a ramenés à l’avant-scène, en misant non seulement sur les grandes entreprises établies, mais aussi sur des concepts novateurs proposés par de plus petits joueurs afin de nous doter des navires dont nous avons besoin aujourd’hui et à l’avenir.

 

Il y a eu un renouvellement des capacités, des technologies et des compétences canadiennes en construction, qui ont bien servi la modernisation des actifs de la Marine et de la Garde côtière et qui bénéficient aussi à l’entreprise privée dans bien des cas.

On peut penser notamment au secteur de l’entretien et de la réparation des navires. Ces travaux ont recommencé à se faire dans la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent plutôt que d’envoyer nos laquiers à l’étranger pour l’entretien et la modernisation. On économise ainsi temps et argent, on stimule notre économie et on réduit l’empreinte écologique.

Quelles sont les possibilités inhérentes à la Stratégie nationale de construction navale?

Le Canada ne rivalisera probablement jamais avec les grands constructeurs de pétroliers ou de porte-conteneurs en Corée du Sud, au Japon ou ailleurs, car ils sont déjà bien établis. Toutefois, les membres de l’Association proposent toutes sortes de compétences spécialisées pour les navires spécialisés de patrouille ou de recherche et sauvetage, les brise-glace et les navires certifiés « glace », les navires de soutien extracôtiers, les remorqueurs et les barges, et d’autres types de navires. Ils proposent aussi de l’équipement et des technologies de calibre mondial pour améliorer les flottes du monde entier. Notre secteur a progressé au cours des deux dernières décennies et je pense que nous sommes prêts à de grandes choses.

 

Comment entrevoyez-vous le rôle de vos membres dans la décarbonation du transport maritime?

Le transport maritime est l’un des rares secteurs dont on s’attend à un bilan carbone net zéro d’ici 2050 à l’échelle mondiale. Par contre, il y a à peine 5 % des navires de la flotte mondiale qui sont déjà à zéro émission, et encore… Il nous reste donc un quart de siècle pour remplacer ou moderniser la quasi-totalité des navires. Oui, on peut y voir un immense défi à grands frais. Toutefois, si l’on considère que la plupart des navires commerciaux ont une durée de vie d’environ 25 ans, on peut y voir aussi une incroyable occasion d’affaires! L’Association déploie tous les efforts voulus pour que ses membres prennent conscience de ce potentiel et fassent partie du virage écologique.

Nous nous efforçons également de conscientiser tous les ordres de gouvernement à propos de la valeur des actifs actuels qui permettraient d’alimenter cette transition énergétique.

J’apprécie le travail accompli pour instaurer des stratégies maritimes et des corridors de transport verts, mais il faut se pencher sur le rôle clé que peuvent jouer nos entreprises existantes dans la décarbonation de nos chaînes d’approvisionnement.

Colin Cooke, ACIMCN

N’oublions pas que si le Québec et l’Ontario sont des composantes essentielles de l’économie bleue au pays, c’est grâce à leurs voies navigables intérieures.

Qu’en est-il des partenariats américains?

Rappelons que les liens particuliers du Canada avec les États-Unis ne tiennent pas seulement à l’Accord de libre-échange nord-américain, mais aussi au fait que nous sommes un partenaire de confiance pour diverses solutions liées à la défense américaine. C’est vrai qu’il y a la Jones Act des États-Unis, qui n’est pas nouvelle et qui empêche les chantiers navals canadiens de contribuer là-bas à la demande énorme dans ce secteur. Nous pouvons quand même y participer, que soit en fournissant diverses composantes ou notre expertise dans certains domaines.

Et au pays, quels sont les autres défis à relever?

La main-d’œuvre est un problème pour tout le monde ou presque. Nos plus grands chantiers maritimes souhaiteraient sans doute avoir accès à plus de ressources humaines pour élargir leurs activités. Et lorsqu’ils recrutent, c’est parfois au détriment des plus petites entreprises qui perdent alors des effectifs. Par ailleurs, ce n’est pas facile d’inciter certains travailleurs à s’installer en région éloignée pour un contrat à court terme, ou dans une ville chère comme Vancouver avec un salaire de débutant. Dans d’autres régions, il faut composer avec la concurrence d’autres secteurs qui se disputent la main-d’œuvre qualifiée, comme dans l’industrie de l’automobile à Hamilton ou l’aérospatiale à Montréal.

Comment relevez-vous ces défis ?

Nous intensifions notre collaboration avec différents organismes sectoriels à l’échelle régionale ou nationale sur certaines questions clés, pour mieux suivre l’évolution de la situation et les ressources disponibles, tout en contribuant à la recherche de solutions convenables pour tous.

C’est d’ailleurs pour rester au fait des questions environnementales que l’Association s’est jointe à l’Alliance verte, et nous incitons nos membres à en faire autant parce que c’est la bonne chose à faire.

Colin Cooke

L’Alliance verte leur propose un cadre pour surpasser la réglementation environnementale déjà en vigueur, ou imminente. Grâce à ce programme, les chantiers maritimes situés près des collectivités disposent d’outils pertinents afin de rendre compte de leurs efforts pour le bon voisinage, et de leur volonté de s’améliorer.

Les entreprises de notre industrie sont fières de ce qu’elles font et de la qualité de leur travail. Elles veulent que tout le monde constate leur engagement pour une meilleure durabilité. En ce sens, l’Alliance verte les aide à atteindre de nouveaux objectifs environnementaux et à faire reconnaître leurs efforts.