Le bruit sous-marin est reconnu comme une pollution par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer depuis plusieurs décennies et le trafic maritime a été identifié comme la principale source à basse fréquence. Les effets du bruit sous-marin continu sur la faune marine comprennent notamment le masquage des communications et la perte d’habitat. Le projet MARS (Marine Acoustics Research Station) s’inscrit dans ce contexte global de prise de conscience des enjeux liés au bruit du trafic maritime et soutient les acteurs du domaine maritime vers une maîtrise des émissions sonores.
Depuis 2021, une station de mesure acoustique est déployée chaque printemps dans le chenal laurentien, au large de Rimouski. Quatre antennes munies de trois hydrophones sont installées par 350 mètres (1148 pieds) de fond à proximité du chenal de navigation dans le fleuve Saint-Laurent pour mesurer la signature acoustique des navires selon des normes internationales.
Une équipe de recherche interinstitutionnelle d’une quinzaine de personnes a été mise en place pour assurer la réalisation du projet. Celui-ci est codirigé par l’Institut des sciences de la mer (ISMER) de l’UQAR et Innovation maritime, avec le soutien de MTE Instruments et OpDAQ Systèmes. Un premier volet du projet, mené principalement par l’ISMER, portait sur la mesure de la signature acoustique d’une portion significative de la flotte du Saint-Laurent.
Une base de données de 2500 signatures acoustiques a été collectée de manière opportuniste, à partir des navires empruntant la Voie maritime. De plus, en collaboration avec quatre armateurs partenaires, Desgagnés, Canada Steamship Lines, Fednav et Algoma, 250 navires ont suivi un protocole prédéterminé permettant la mesure de leur signature acoustique selon le standard ANSI/ASA S12/64-2009, et ont fait l’objet de rapports individuels destinés aux armateurs. Ces résultats permettent aux armateurs de quantifier la contribution sonore de chacun de leurs navires vis-à-vis de leur flotte, et par rapport au reste de la flotte du Saint-Laurent.
Une chaîne de traitement a été mise en place pour permettre de produire des signatures acoustiques de manière automatique, documentée et répétable. La base de données ainsi constituée permet de soutenir les efforts des acteurs du secteur maritime vers une navigation plus silencieuse, de fournir des informations quantitatives sur la flotte du Saint-Laurent aux instances décisionnaires, et d'appuyer la recherche scientifique vers la compréhension et l’atténuation des effets du bruit sur l’environnement marin.
Un deuxième volet du projet, mené pour beaucoup par Innovation maritime, impliquait l'instrumentation de navires avec des systèmes de mesure spécialisés.
Cette démarche, par la voie de diagnostics vibratoires, visait à identifier les sources de bruit à bord des navires et évaluer leurs contributions respectives dans le bruit radié en milieu marin. Dix-huit (18) missions de ce type ont été réalisées dans le cadre du projet. Ce volet du projet a nécessité le développement d’un équipement sur mesure pour l’acquisition de données, capable de recueillir des données vibratoires en continu et étudier la réponse de la structure face aux excitations.
Les diagnostics sonores, faits en simultané avec des mesures acoustiques dans la station MARS, permettent de comprendre le bruit rayonné, de son point d’origine sur le navire jusqu’à sa transmission dans le milieu marin. Des rapports de diagnostic sont élaborés et remis aux armateurs. Ces rapports identifient les principales sources de bruit et leurs contributions dans la signature acoustique de chaque navire, permettant ainsi aux armateurs de prendre des mesures ciblées pour réduire leur empreinte sonore. Un des aspects novateurs du projet concerne la détection de la cavitation, un phénomène majeur de génération de bruit sous-marin, à partir des mesures vibratoires internes.
La cavitation, causée par la formation de bulles de vapeur autour des hélices en mouvement, est un enjeu majeur à adresser afin de réduire l’impact de la navigation commerciale. Sa détection précoce grâce aux systèmes de mesure interne non intrusive permettra à terme d'intervenir pour réduire ses effets, par exemple, en ajustant les paramètres de navigation dans les zones écologiquement sensibles ou en procédant à une maintenance de l'hélice.
Les travaux du projet MARS ont suscité de l’intérêt du côté de l’Europe.
Des collaborations avec des équipes européennes faisant partie du projet PIAQUO (Practical Implementation of Achieve QUieter Oceans) ont été établies et ont permis d’échanger sur les résultats respectifs des différents projets.
L'équipe MARS a réalisé au cours des trois dernières années d'importantes avancées dans la mesure et la compréhension du bruit sous-marin généré par les navires. Il importe désormais de poursuivre les travaux afin d’enrichir la base de données des signatures acoustiques, multiplier les prises de données à bord des navires et surtout tester des mesures de mitigation du bruit.
L’équipe MARS entend poursuivre ses efforts au cours des prochaines années pour tester des approches concrètes de réduction du bruit rayonné en milieu marin et juger de leur efficacité (coût-bénéfice).
Déjà quelques solutions sont en développement et feront l’objet d’essais. On parle notamment de tester un revêtement de coque ayant le potentiel de réduire le bruit rayonné en milieu marin, l’essai d’amortisseurs pour couper la transmission de vibrations vers la coque ou de résonateurs pour atténuer certaines fréquences, spécifiquement identifiées comme problématiques, de vibration. Une autre initiative mise sur le déploiement d’un réseau de capteurs disposés à bord des navires pour estimer en temps réel le bruit rayonné des navires, transmettre cette information à la timonerie et permettre aux capitaines de moduler leur vitesse en fonction du bruit généré par le navire et des zones d’intérêt écologique. Quoique d’importantes avancées ont été faites au cours des dernières années, des défis demeurent présents pour suggérer des solutions de mitigation du bruit efficaces et bien adaptées au contexte opérationnel des armateurs.
Rappelons que le projet MARS a bénéficié du soutien financier de Transports Canada, du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec, en plus des contributions de MTE Instruments, d’OpDAQ Systèmes, plusieurs armateurs certifiés Alliance verte (Desgagnés, Canada Steamship Lines, Fednav, Algoma) et de la Société de développement économique du Saint-Laurent. Les promoteurs du projet cherchent, en ce moment, à obtenir de nouveaux appuis financiers afin de pouvoir poursuivre les travaux réalisés au cours des trois dernières années.
Directeur du développement des affaires et des communications chez Innovation maritime, Raphaël Côté est ingénieur et titulaire d’une maîtrise en génie mécanique de l’École de technologie supérieure.
Il vise à faire la promotion de la recherche collégiale dans le secteur maritime et développer des partenariats de recherche structurants. Il est également candidat au doctorat en génie mécanique en cotutelle entre l’École nationale supérieure Mines-Télécom Lille-Douai et l’École de technologie supérieure en développement de procédé de fabrication additive pour pièces métalliques.
Professeur en acoustique marine à l’ISMER, Pierre Cauchy a une formation d’ingénieur en acoustique de l’École Centrale Méditerranée (Marseille, France) et un doctorat en océanographie de l’Université d’East Anglia (Norwich, UK).
Ses recherches portent sur les paysages sonores sous-marins comme support d’information sur la faune marine, les évènements météorologiques, et les pressions anthropiques. Il dirige l’activité d’observation acoustique du projet MARS, et l’équipe de 6 personnes à l’ISMER responsable de l’opération de la station de mesure acoustique, de la collecte et de l’analyse scientifique des données.