La plus grande flotte de remorqueurs battant pavillon américain dans les Grands Lacs célèbre son 125e anniversaire. La société Great Lakes Towing, qu’on a longtemps surnommée « The Towing Company », se tourne résolument vers la durabilité grâce à une approche audacieuse pour redonner un air de jeunesse – et même mieux – à tout ce qui se fait vieux…
« Je suis ravi d’occuper ce poste à un moment clé de l’histoire de notre entreprise, alors que s’opère une transition majeure pour renouveler notre flotte », affirme le président de Great Lakes Towing, Joe Starck, qui s’est joint à l’entreprise il y a déjà 33 ans.
La société possède 40 remorqueurs dispersés dans 14 ports américains, qui assurent le remorquage portuaire, l’assistance aux navires, le transport de marchandises, le déglaçage et d’autres services. Elle dessert ainsi plus de 45 ports américains le long de 13 357 kilomètres de littoral sur 259 000 kilomètres carrés d’eaux navigables.
Au fil des ans, l’entreprise s’est transformée en fonction des besoins changeants en matière de transports dans les secteurs de l’agriculture, de la sidérurgie et de la construction. Elle s’est également diversifiée en élargissant son éventail d’activités pour inclure aussi la conception, la construction, la réparation et l’affrètement de navires, les services gouvernementaux, la manutention de ligne et les services d’atelier d’usinage.
Depuis sa constitution en société le 7 juillet 1899 dans le New Jersey, la Great Lakes Towing a joué un rôle majeur au sein de l’industrie maritime américaine dans les Grands Lacs et la Voie maritime du Saint‑Laurent. Parmi les actionnaires fondateurs de l’entreprise, on comptait notamment le magnat des affaires John D. Rockefeller de même que l’un des membres fondateurs de la Western Union Telegraph, Jeptha H. Wade.
Lorsque Joe Starck a pris les rênes de l’entreprise en 2016, de nombreux remorqueurs alors en service avaient littéralement plus d’un siècle.
L’un de nos remorqueurs a été construit en 1897. Il a déjà coulé deux fois, et a subi cinq changements de moteurs successifs!
Tous les remorqueurs originaux de la Great Lakes Towing dataient de 1899 à 1935. Ils étaient initialement équipés de moteurs à vapeur, lesquels ont été remplacés dans les années 1950 par des moteurs diésels excédentaires datant de la Seconde Guerre mondiale. Ces remorqueurs étaient autorisés à demeurer en service indéfiniment en vertu d’une clause fédérale de maintien des droits acquis. Il faut dire qu’en eau douce, les remorqueurs peuvent durer facilement plus de 50 ans. À terme, la plupart auront donc été remplacés après au moins un siècle de loyaux services.
« Je n’aurais jamais imaginé qu’une petite entreprise comme la nôtre puisse se permettre un projet de construction neuve, admet M. Starck. Nous avons d’abord cherché des remorqueurs côtiers plus anciens qui auraient pu connaître une deuxième vie en eau douce, et nous avons aussi tenté de remotoriser nos anciens remorqueurs. Finalement, nous avons convenu que la construction neuve était la solution la plus rentable en l’occurrence. »
Si les nouvelles constructions représentent l’investissement le plus judicieux, c’est notamment parce qu’elles permettent de réaliser des économies en carburant, de réduire considérablement les coûts de maintenance, de réparation et de remplacement des pièces, en plus de réduire l’équipage à deux personnes plutôt que trois, ce qui n’est pas anodin dans un marché du travail difficile. « Nous avons travaillé en étroite collaboration avec nos syndicats pour ne supprimer aucun poste et permettre à chacun de conserver l’emploi désiré », s’empresse de préciser M. Starck.
Forte du succès de la construction du premier de ces nouveaux remorqueurs, l’entreprise a pu faire financer les quatre suivants grâce au programme DERG (Diesel Emission Reduction Grants) de l’Agence pour la protection de l’environnement de l’Ohio (EPA). Les sixième et septième remorqueurs ont quant à eux bénéficié d’une enveloppe du programme DERA (Diesel Emissions Reduction Act) pour la région 5 de l’EPA. Les trois derniers remorqueurs de cette série seront financés par la société elle-même.
Ces renouvellements étaient déjà prévus depuis au moins un an avant que la Great Lakes Towing se joigne aux participants de l’Alliance verte, en 2017.
En juillet dernier, la société a célébré son 125e anniversaire en prenant livraison du plus récent navire de sa flotte de remorqueurs modernes de classe « ice » : le Minnesota.
Il s'agit du huitième navire de classe Damen construit dans le cadre de ce programme de renouvellement de la flotte, qui en comptera dix.
Chaque nouveau remorqueur porte le nom d’un État américain. En 2020, le Pennsylvania et le Wisconsin avaient été mis à l’eau en pleine pandémie de COVID-19, un véritable test de résilience pour le transporteur ainsi que le chantier maritime. Le neuvième navire de la série devrait être achevé en novembre, et le dixième sera livré plus tard en 2025.
À chaque livraison d’un nouveau remorqueur, la compagnie peut mettre au rancart deux remorqueurs anciens, jusqu’à l’élimination de 18 vieux remorqueurs de sa flotte. Toutefois, la compagnie ne peut se permettre de continuer de la sorte :
En cannibalisant notre propre flotte, nous réduisons la zone de couverture du service, explique M. Starck. Nous devons garder suffisamment de bateaux en service pour couvrir efficacement les besoins dans tous les ports et pour tous nos clients.
Pour la prochaine phase de renouvellement de sa flotte, la Great Lakes Towing a décidé de s’associer à son port le plus actif, soit le Port de Cleveland. Ce dernier, qui est aussi l’un des participants de l’Alliance verte, a proposé à la société de remorqueurs de l’aider à construire deux navires entièrement électriques ainsi qu’une station de recharge, dans le cadre de sa demande de subvention au titre de l’initiative Clean Ports de l’EPA.
« Vus de l’extérieur, nos remorqueurs électriques seront identiques aux modèles les plus récents au diésel, mais ils seront alimentés par des batteries et des génératrices plutôt que des moteurs principaux, explique M. Starck. Les travaux de conception avancée commenceront dès le mois de janvier. »
Tous les nouveaux remorqueurs sont conçus et construits par la société Great Lakes Shipyard. En 2017, ce chantier maritime américain avait été le premier aux États-Unis à adhérer au programme de certification environnementale de l’Alliance verte, en même temps que sa société mère. « L’Alliance verte nous a vraiment guidés pour améliorer la durabilité actuelle et éventuelle de nos activités au chantier maritime », rappelle Justin Dew, responsable des questions de santé, sécurité et environnement au chantier maritime.
L’Alliance nous aide à rester à l’affût des nouvelles technologies plus vertes, si bien que nous pouvons en tenir compte au moment de remplacer notre équipement devenu désuet.
Le groupe a toujours exploité un chantier maritime. Créé initialement pour construire et entretenir sa propre flotte, son chantier avait commencé à offrir des services élargis de réparation navale à d’autres clients au début des années 1980. Il figure parmi les principaux sous-traitants de la Garde côtière des États-Unis, de l’U.S. Geological Survey, de l’U.S. Army Corps of Engineers et de nombreuses autres entités fédérales, des États ou régionales. Dans les années 1990, le chantier a encore diversifié ses services pour y inclure la fabrication du secteur naval, avant de se tourner aussi vers la construction de nouveaux navires au début des années 2000. Les capacités d’usinage et de fabrication ont également été consolidées en 2021 à la faveur d’une nouvelle acquisition.
La société a investi plus de 25 millions de dollars en actifs immobiliers et dans ses usines et équipements en vue d’agrandir et de revitaliser les installations de son chantier naval et de son port d’attache à Cleveland, en Ohio. Le projet a nécessité l’acquisition d’un terrain de 5,32 hectares ayant plus de 452 mètres d’aire d’accostage, sans compter d’autres améliorations pour assainir l’environnement, aménager une nouvelle installation de cloisonnement, stabiliser les sols, construire de nouvelles installations intérieures ultramodernes et aménager une nouvelle cale en béton armé munie d’un chariot élévateur maritime de 900 tonnes. La société détient aussi une option d’achat sur un autre terrain de 1,57 hectare, qu’elle pourra exercer lorsque la réhabilitation environnementale sera achevée.
D’autres mesures environnementales sont instaurées pour réduire l’empreinte carbone du chantier maritime. Des vitres spécialement teintées ont été installées pour tirer le meilleur parti de la lumière du jour afin de réduire la consommation d’électricité. On a aussi aménagé un toit en acier aluminé-galvanisé pour mieux réfléchir la chaleur.
L’entreprise a aménagé les surfaces pavées de sorte que l’eau de ruissellement puisse s’écouler vers un bassin de biorétention situé sur la propriété principale, où l’eau est naturellement filtrée par du sable, des rochers et des plantes indigènes avant de s’infiltrer dans le sol. On a aussi planté des poiriers indigènes de la variété Cleveland Select un peu partout sur les terrains afin de prévenir l’érosion des sols.
« Lorsque nous avons de la ferraille en grande quantité, nous l’utilisons pour faire des aménagements utiles sur le chantier, comme des supports pour entreposer de grandes tôles ou encore des conduits pour faire passer les tuyaux de gaz ou les câbles électriques hors sol », ajoute M. Dew.
À terme, l’une des décisions de l’entreprise ayant eu les retombées les plus significatives est d’avoir choisi d’acquérir de nouveaux équipements de chantier électriques ou équipés de moteurs diésels Tier4, notamment pour les chariots élévateurs à fourche, les monte-charges, les grands compresseurs et d’autre matériel roulant.
L’Alliance verte est formidable parce qu’elle nous force à tout documenter, ce qui nous permet de voir où vont nos efforts. Et en tant que membre du groupe de travail de l’Alliance verte pour les chantiers maritimes, j’apprécie beaucoup la possibilité de mettre nos idées en commun.
En somme, tous ces investissements pour la durabilité sont de bon augure pour les 125 prochaines années. « Selon moi, notre entreprise a un grand potentiel de développement à condition de trouver des personnes ayant l’expérience nécessaire, ou de trouver les moyens de leur fournir la formation requise, estime Joe Starck. C’est toujours formidable de rencontrer des jeunes qui veulent apprendre un métier et de voir l’étincelle dans leurs yeux lorsqu’ils observent un remorqueur en pleine action! »