Par Julie Gedeon

L'IA et l’apprentissage automatique dans les tâches maritimes

Innovation

La capacité de l’intelligence artificielle (IA) à traiter rapidement d’énormes volumes de données entraîne son intégration dans presque tous les secteurs, y compris le transport maritime. L’Alliance verte constate déjà les applications positives de l’IA par un nombre croissant de ses membres, ainsi que l’exploration de son potentiel en matière d’apprentissage automatique (AA) pour automatiser des tâches fastidieuses ou potentiellement dangereuses. Cet article du Magazine de l’Alliance verte met en lumière la manière dont certains participants, partenaires et supporteurs intègrent l’IA aujourd’hui et envisagent son utilisation dans le futur.

Dans cette édition, vous trouverez des informations liées à l’IA concernant :

  • L’équipe numérique de CSL, récompensée par un prestigieux prix IT.
  • Whale Seeker, qui établit de nouvelles normes pour la détection d’espèces marines à partir d’images.
  • L’Observatoire global du Saint-Laurent (OGSL), qui propose l’IA comme outil clé de recherche.
  • Ocean Sonics, qui intègre l’IA dans la gestion des bruits sous-marins.
  • La Supergrappe des océans du Canada, qui soutient l’utilisation de l’IA pour l’économie bleue.
  • Global Spatial Technology Solutions (GSTS), qui développe un outil prédictif pour la gestion des quais.
  • MarineLabs, qui utilise l’IA pour améliorer la sécurité maritime et la résilience côtière.
  • Airudi, qui emploie l’IA pour optimiser les prévisions et allocations de main-d’œuvre ainsi que le recrutement.
  • Opsealog, qui assiste les affréteurs dans la gestion des flottes du secteur énergétique via une plateforme SaaS.
  • Le Conseil international des corridors maritimes intelligents, qui appelle à davantage de progrès.
  • Les avancées de l'IA d'InnovMarine pour la conception, l'exploitation et la maintenance de divers navires
Surveillance des navires en temps réel

En novembre dernier, l’équipe numérique du Groupe CSL, membre fondateur de l’Alliance verte, a été reconnue avec le prix IT Solutions Award 2024 du International Bulk Journal (IBJ) pour son projet utilisant l’IA afin d’optimiser la planification des navires, la sécurité et l’efficacité énergétique.

« Le projet est encore relativement nouveau — en phase de développement — mais notre équipe numérique travaille activement pour être à la pointe du secteur. Je suis ravi que nos collaborateurs soient reconnus pour leurs efforts », déclare Allister Paterson, vice-président exécutif et responsable des partenariats stratégiques chez CSL.

L’équipe numérique de CSL poursuit ses travaux sur la technologie exclusive Operational Optimizer (O2), qui fournit un système de surveillance des navires en temps réel. Ce système surveille en continu l’état des systèmes et indique les tendances des données pour analyse par les équipes à bord et à terre de CSL.

« Tout a commencé par la modernisation de notre flotte au cours des sept dernières années, avec l’installation de capteurs sur presque tous les éléments afin de générer des données nous permettant d’optimiser notre efficacité opérationnelle et d’anticiper les problèmes », ajoute Allister Paterson.

Nous sommes désormais l’une des rares compagnies maritimes à disposer de données de flotte en continu et nous avons commencé à utiliser l’IA pour analyser ces informations afin d’optimiser le rendement énergétique et les performances des navires.

Allister Paterson, Groupe CSL

Cette technologie est également utilisée pour optimiser la planification des navires d’un port à l’autre. « Nous savons qu’une vitesse 10 % plus rapide consomme 35 % plus de carburant, mais que si nous naviguons plus lentement pour économiser du carburant, nous avons également besoin d’un plus grand nombre de navires pour transporter la même quantité de marchandises », explique-t-il. « L’utilisation de l’IA pour traiter nos données quotidiennes en temps réel nous aidera à déterminer l’équilibre idéal aux niveaux macro et micro. »

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L’IA au service de la biodiversité

Whale Seeker, un partenaire de l’Alliance verte, est reconnu internationalement pour le développement d’outils d’IA évolutifs et adaptés à l’industrie, qui aident les acteurs du secteur maritime à accroître leur efficacité, à réduire les risques et à respecter leurs obligations réglementaires en matière de biodiversité. L’entreprise montréalaise a été citée par le Centre de recherche en intelligence artificielle de l’UNESCO comme l’un des 10 meilleurs projets d’IA au monde.

Grâce à l’IA, Whale Seeker crée des outils facilitant la surveillance des baleines et d’autres espèces marines, ainsi que des oiseaux. Ses outils sont déjà utilisés par des clients du gouvernement, de l’industrie maritime, du secteur de l’énergie, ainsi que par des organismes de recherche environnementale et de conservation. Ils contribuent à réduire les délais opérationnels, à soutenir la production de rapports de conformité et à optimiser la planification et la prise de décision.

« Ce qui distingue nos outils, c’est la fusion de notre expertise en apprentissage profond et des connaissances spécifiques acquises par des biologistes marins expérimentés », explique Emily Charry Tissier, PDG de Whale Seeker.

« En intégrant le contexte écologique directement dans le processus de développement de l’IA, nous avons créé des outils non seulement plus rapides et plus économiques que l’annotation manuelle, mais aussi scientifiquement robustes et standardisés pour les applications réglementaires et de recherche. »

L’équipe de biologistes marins de l’entreprise travaille en étroite collaboration avec des spécialistes de l’IA pour garantir que chaque modèle créé reflète la réalité écologique. « Cette approche interdisciplinaire permet de créer des outils de détection qui accélèrent considérablement le traitement des images tout en préservant l’intégrité scientifique nécessaire à la conservation, à l’évaluation des impacts et au respect des politiques », explique Emily Charry Tissier.

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Simplifier la gestion des données scientifiques

L’Observatoire global du Saint-Laurent (OGSL), un supporteur de l’Alliance verte, teste actuellement à l’interne l’intégration de l’IA pour accélérer le traitement des diverses données reçues de ses partenaires académiques, gouvernementaux et ONG. L’objectif est d’offrir une information complète et standardisée aux intervenants de la région du fleuve Saint-Laurent.

« Nous sommes en train d’intégrer l’IA pour nous aider dans ce qui nous prenait autrefois beaucoup de temps à faire manuellement », explique Anne-Sophie Ste-Marie, directrice des partenariats et des communications de l’OGSL.

Nous utilisons souvent le terme "assister", car nous tenons à préciser que notre intention n’est pas de remplacer notre expertise par l’IA, notamment pour vérifier l’exactitude des informations, mais plutôt de nous aider à générer plus rapidement les métadonnées — qui, quoi, quand, où — nécessaires à leur découverte.

Anne-Sophie Ste-Marie, OGSL

L’OGSL vise à intégrer l’assistance de l’IA à plusieurs de ses outils internes de traitement de données.

L’OGSL explore l’utilisation de l’IA pour alimenter son catalogue en ligne, qui héberge déjà plus de 300 jeux de données de recherche scientifique ouverts, afin de répondre aux recherches d’informations scientifiques variées potentiellement pertinentes pour l’écosystème et la vie marine du fleuve Saint-Laurent. « La quantité d’information est si vaste et dispersée dans différents portails de données ouvertes qu’il est souvent difficile de s’y retrouver », explique Anne-Sophie Ste-Marie. « Nous testons une technologie d’IA pour connecter des sources de données externes au catalogue de l’OGSL afin d’aider les utilisateurs finaux à trouver rapidement l’information pertinente et à jour qui pourrait ne pas apparaître par les moteurs de recherche Internet habituels ou en consultant les portails de données individuels. »

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Donner une voix aux océans

Ocean Sonics, partenaire de l’Alliance verte, travaille sur l’utilisation efficace de l’apprentissage automatique (AA) par l’IA pour identifier systématiquement les sons sous-marins précis et mesurer leur niveau en temps réel dans les zones sous-marines riches en sources sonores variées.

Les cofondateurs Mark Wood et Desiree Stockermans ont fondé Ocean Sonics en 2012 après avoir travaillé sept ans au développement d’icListen, un hydrophone numérique intelligent. icListen enregistre les sons sous-marins à la source, permettant ainsi aux utilisateurs de gérer la quantité de données capturées afin de les transmettre à la surface en temps réel sous forme de données visuelles.

« La plupart des sons sous-marins dépassent notre champ auditif limité », explique Mark Wood. « Nous donnons la parole aux océans en fournissant des instruments permettant de voir et de visualiser les sons produits sous l’eau. »

La technologie icListen a déjà été utilisée dans diverses applications de l’industrie maritime, notamment pour mesurer le bruit émis par les navires et détecter la présence d’espèces de baleines menacées dans un port. Il peut également détecter le « sifflement » d’une fuite de canalisation, qui pourrait passer inaperçu visuellement.

Ocean Sonics travaille actuellement sur l’utilisation de l’AA pour mieux gérer la complexité des sons en milieu marin. « L’AA peut traiter des informations complexes beaucoup plus rapidement que les humains sans s’ennuyer ni se fatiguer, mais il nécessite l’expertise acquise par les humains », explique Mark Wood.

Par exemple, certains biologistes peuvent identifier des baleines précises grâce à leurs cris.

Imaginez pouvoir intégrer cette base de données mentale et cette capacité d’identification dans un algorithme.

Mark Wood, Ocean Sonics

« Le problème, c’est que ce n’est pas simple, l’un des plus grands défis étant de savoir quelles informations filtrer. »

Ocean Sonics collabore avec des entreprises maritimes afin de déterminer leurs objectifs. Par exemple, s’il est prévu de construire un pont, un programme d’IA pourrait intégrer toutes les réglementations et normes requises en matière de bruit pour les travaux effectués à proximité du plan d’eau concerné et produire rapidement un rapport avec des graphiques indiquant les niveaux sonores acceptables pour différentes activités de construction.

Parmi les autres applications possibles, on peut citer l’assistance aux organismes de réglementation tiers pour vérifier si un armateur a apporté des améliorations afin de réduire le bruit sous-marin dû aux vibrations mécaniques ou opérationnelles, ou pour surveiller en continu les opérations d’un navire afin d’identifier et de corriger immédiatement une source ou un niveau de bruit inhabituel.

« Nous n’avons pas encore commercialisé ces services, car nous travaillons encore sur l’utilisation de l’apprentissage automatique par l’IA pour gérer de manière optimale la complexité, complexe en soi, car nous devons “entraîner” les algorithmes d’IA à reconnaître un large éventail d’informations et à réagir à chacune d’elles, explique Mark Wood. C’est pourquoi nous lançons plutôt quelques projets pilotes. »

L’un d’eux consiste pour Ocean Sonics à surveiller le paysage sonore à deux endroits du Port d’Halifax, depuis le bruit sous-marin émis par les navires jusqu’aux activités de construction, en passant par la vie marine. « Nous travaillons à déterminer ce qui se passe dans ce port très fréquenté d’un point de vue sonore », explique Jennifer Aftanas, responsable marketing et relations publiques chez Ocean Sonics, ajoutant que certaines des conclusions seront présentées à GreenTech 2025 à La Nouvelle-Orléans.

Un autre projet pilote consiste à utiliser la modélisation par IA pour déterminer comment utiliser les propulseurs d’étrave des navires de croisière arrivant au port afin d’éviter d’endommager les quais. « Nous utilisons le son pour surveiller l’arrimage des navires », explique Jennifer Aftanas.

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Accélérer l’économie bleue grâce à l’IA

La Supergrappe des océans du Canada (SOC), supporteur de l’Alliance verte, a pour mission d’aider les entreprises canadiennes, nouvelles et existantes, ainsi que celles qui souhaitent investir au Canada, à renforcer l’économie bleue du pays.

« L’IA offre aujourd’hui de nombreuses façons d’aider les entreprises à être plus efficaces, plus sûres, plus durables et plus compétitives, et à développer leurs activités », explique Jennifer LaPlante, responsable de la croissance et des investissements. « Le Canada est un chef de file mondial en matière de développement de l’IA, notamment grâce à la concentration d’expertise à Montréal, mais cela ne se traduit pas toujours par des débouchés commerciaux, notamment dans le domaine de l’économie bleue. »

La SOC mise sur l’IA et l’apprentissage automatique comme nouveaux outils pour appuyer les entreprises à accroître le produit intérieur brut du pays en faisant progresser l’économie bleue.

À titre d’exemple, la SOC a investi 5 millions de dollars dans un projet de 12 millions de dollars auquel participe Global Spatial Technology Solutions (GSTS) inc., partenaire de l’Alliance verte, afin de développer et de mettre en œuvre le premier système collaboratif de planification prédictive des postes d’amarrage alimenté par l’IA. Le système OCIANA intègre les informations fournies par les armateurs, les services de pilotage et les administrations portuaires pour déterminer l’heure d’arrivée optimale d’un navire.

GSTS dirige le projet en collaboration avec Canada Steamship Lines, l’Administration portuaire de Montréal et l’Administration de pilotage des Laurentides (APL), tous participants de l’Alliance verte, ainsi que Clear Seas, supporteur de l’Alliance verte. Cette technologie d’IA exclusive est mise à profit pour accroître l’efficacité et la durabilité des corridors maritimes verts grâce à une numérisation avancée.

La SOC a également co-investi dans MarineLabs, un autre partenaire de l’Alliance verte. Marine Labs utilise l’IA pour traiter les données météorologiques et houlomotrices variées et détaillées recueillies par les bouées côtières afin de fournir des perspectives pour améliorer la sécurité maritime et la résistance côtière aux changements climatiques.

Les principaux ports du pays, ainsi que d’autres entreprises, sont en discussion avec la SOC afin d’examiner les applications possibles de l’IA. « Nous organisons des tables rondes pour comprendre les lacunes dans l’adoption des solutions d’IA par l’économie océanique », explique Jennifer LaPlante. « Nous avons récemment lancé un programme visant à sensibiliser le secteur maritime aux possibilités de l’IA, notamment en matière de sécurité, de confidentialité et d’éthique. »

Les cours gratuits sont ouverts aux membres. La SOC peut également aider les innovateurs à entrer en contact avec une entreprise maritime s’ils ont besoin de données spécifiques pour des tests d’apprentissage automatique et/ou des formations, ou simplement pour discuter de la manière dont un défi maritime pourrait être relevé grâce à l’IA.

L’un des principaux enjeux est la disponibilité de données complètes et cohérentes. « Si vous utilisez une IA pour suivre les performances d’un moteur de maintenance préventive, par exemple, vous avez besoin d’un vocabulaire cohérent pour identifier les problèmes et les bruits anormaux », explique Jennifer LaPlante. « On ne peut pas avoir quelqu’un qui dit que c’est un bruit de claquement et un autre qui le trouve assourdissant. »

Le retour sur investissement est une autre préoccupation majeure. « Le coût initial peut être important, mais les gains d’efficacité à long terme peuvent en valoir la peine », conclut Jennifer LaPlante. « Quoi qu’il en soit, il est bon de se renseigner, en commençant par communiquer avec nous par courriel. »

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Optimiser les ressources humaines grâce à une IA prédictive

Airudi, un nouveau partenaire de l’Alliance verte, s’attaque à un créneau particulier en utilisant l’IA pour optimiser les opérations en milieu de travail et la gestion des ressources humaines afin d’améliorer la productivité, la santé et la sécurité, ainsi que la conciliation travail-vie personnelle.

« Grâce à notre solution de prévision et d’affectation des effectifs, nous constatons une réduction de 15 à 30 % des erreurs en matière de déploiement optimal de la main-d’œuvre, explique Mathieu Charbonneau, vice-président et directeur général de la division Transport d’Airudi. Les employés apprécient être informés plus tôt de leurs congés potentiels afin de mieux planifier leur vie personnelle. »

L’entreprise a été fondée il y a sept ans par deux spécialistes des ressources humaines. « Pape Wade et Amanda Arciero ont constaté ce besoin et ont collaboré avec des experts en IA pour créer des plateformes permettant de mieux prédire la demande de main-d’œuvre et d’offrir une meilleure visibilité sur la main-d’œuvre pouvant être déployée pour les opérations, explique M. Charbonneau. Tout cela nous permet d’être plus réactifs dans la planification des horaires. »

Les services d’Airudi aident les entreprises à trier les CV pour embaucher les meilleurs candidats disponibles, à simplifier la vérification de leurs compétences et de leur admissibilité, et enfin à optimiser leurs horaires de travail.

En automatisant jusqu’à 80 % des processus manuels, les organisations peuvent se concentrer sur des tâches plus stratégiques et centrées sur l’humain, ce qui améliore l’expérience des candidats.

Mathieu Charbonneau, Airudi

Dans le secteur maritime, Airudi se concentre spécifiquement sur l’utilisation de son prédicteur d’affectation par l’IA pour affecter le bon type et le bon nombre d’employés au bon navire/quai au moment opportun. « Nous collaborons avec l’Association des employeurs maritimes du Port de Montréal afin d’utiliser l’IA pour proposer un scénario optimal de déploiement de la main-d’œuvre, respectueux des conventions collectives, de la disponibilité des travailleurs portuaires et des compétences requises, ajoute Mathieu Charbonneau. L’IA facilite l’établissement d’horaires réguliers plus à l’avance, tout en suggérant des modifications immédiates en cas d’arrivée d’un navire avec 48 heures d’avance ou 24 heures de retard, ou en cas d’imprévu. »

Airudi s’associe également à SOGET, leader français de la logistique technologique, pour intégrer l’expertise en IA en gestion des ressources humaines à la plateforme logistique de SOGET.

Mathieu Charbonneau prévoit que l’expertise d’Airudi s’étendra à terme à la coordination de la main-d’œuvre pour la liaison des services ferroviaires, aériens et routiers dans les ports. « Le secteur des transports collecte des données depuis des années », souligne-t-il.

« Il est temps de réfléchir à la manière de vérifier et de normaliser ces données tout en préservant la compétitivité et en intégrant l’IA en temps réel pour optimiser la chaîne d’approvisionnement, notamment dans un contexte de main-d’œuvre réduite. »

L’entreprise s’est associée à l’Alliance verte pour souligner la durabilité accrue obtenue grâce à une gestion de la main-d’œuvre basée sur l’IA. « Chaque fois que nous réduisons le temps d’attente des navires dans un port, nous réduisons également la consommation de carburant nécessaire au mouillage ou à quai, ainsi que les émissions de gaz à effet de serre qui en découlent », souligne M. Charbonneau.

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Optimiser la consommation de carburant

Opsealog, partenaire de Green Marine Europe, utilise l’IA dans sa plateforme SaaS (Software as a Service) pour aider les affréteurs du secteur de l’énergie à optimiser l’exploitation globale de leur flotte grâce à une meilleure utilisation de leurs navires de soutien en mer, ainsi qu’à une optimisation des performances de chaque navire.

« Notre principale proposition de valeur est de générer 10 à 15 % d’économies de carburant pour nos clients, selon le contexte opérationnel et géographique », explique Martin Smetek, directeur Produits et Innovation d’Opsealog.

Dès réception des données, qu’elles proviennent de rapports ou de capteurs, Opsealog établit des bases de référence de consommation spécifiques à chaque navire afin d’évaluer le comportement opérationnel initial. Parallèlement, la plateforme modélise également les profils de consommation par activité de chaque navire, en s’appuyant sur une base de connaissances constamment enrichie par de nouvelles données.

« En fonction des priorités de nos clients, nous établissons des objectifs d’optimisation qui servent de base à la génération automatique de recommandations, transmises directement aux unités opérationnelles en mer », explique M. Smetek.

Les algorithmes nous permettent d’orchestrer efficacement notre vaste base de connaissances sectorielle et de détecter automatiquement les opportunités d’amélioration.

Martin Smetek, Opsealog

« Cette automatisation contribue à accroître l’efficacité de nos services en identifiant rapidement les leviers d’action pour optimiser la performance de nos clients », ajoute-t-il.

Opsealog collabore avec un consortium d’entreprises sur un projet financé par l’ADEME, l’Agence française pour la transition écologique, qui est un supporteur de Green Marine Europe depuis sa création. Le projet CASSIOPEE est une initiative de R et D soutenue par le Conseil d’orientation pour la recherche et l’innovation des industriels de la mer (CORIMER). Son objectif ambitieux est d’utiliser l’IA pour traiter les informations d’une flotte connectée d’une dizaine de navires afin de générer plusieurs centaines de millions de points de données par jour.

Des défis subsistent, notamment la cohérence des données. À ce jour, aucune réglementation maritime n’impose de journaux de bord numériques. La grande disparité des informations et des capteurs déclarés, ainsi que les différents niveaux de connectivité entre les navires, compliquent l’établissement de données cohérentes. (Voir le livre blanc d’Opsealog [en anglais] : Créer de la valeur pour la standardisation des données.)

« Aucune donnée n’est exempte de risque d’erreur, ajoute Martin Smetek. Les données saisies ou validées par un opérateur humain comportent toujours un risque d’erreur, tout comme les données d’un capteur peuvent être sujettes à des biais ou à des limites inhérentes à sa technologie. C’est précisément cette complexité que nous abordons avec nos méthodes et nos outils, en garantissant la qualité des données pour garantir des analyses fiables et exploitables. »

Si l’IA est déjà déployée pour améliorer la sécurité, l’efficacité et la durabilité, il s’attend à ce que son adoption massive au sein du secteur maritime soit progressive.

« Elle doit s’intégrer harmonieusement à l’expertise humaine, qui évoluera aussi bien en mer qu’à terre, explique-t-il. Les métiers maritimes sont appelés à se transformer : les marins bénéficieront d’outils simplifiant la prise de décision, tandis que les équipes à terre développeront des compétences axées sur le développement d’algorithmes, l’analyse de données et la supervision de systèmes intelligents. »

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Rendre les corridors maritimes plus intelligents

Donald Roussel est fondateur et membre du conseil d’administration du Conseil international des corridors maritimes intelligents, supporteur de l’Alliance verte. Ancien marin et ancien directeur général de la sûreté et de la sécurité maritime de Transports Canada, il a lancé cet organisme à but non lucratif au début de 2021 après avoir constaté l’avance de la Finlande, de la Norvège et de la Suède par rapport à l’Amérique du Nord en matière de développement de l’IA pour les navires autonomes.

Il s’inquiète du retard de l’Amérique du Nord en matière d’utilisation de l’IA dans le secteur maritime. Il souligne le soutien plus important de l’Union européenne à la recherche et au développement en matière d’IA maritime. En 2018, par exemple, la Commission européenne a commencé à offrir jusqu’à 20 millions d’euros pour la construction et la démonstration d’un navire entièrement autonome pour les voies navigables intérieures et côtières.

Des entreprises avaient déjà lancé des activités de R et D. En Norvège, Yara International a annoncé son partenariat avec le groupe Kongsberg en 2017 pour la construction du premier porte-conteneurs autonome à zéro émission au monde. Le Yara Birkeland, long de près de 80 mètres (262 pieds), est alimenté par un parc de batteries de 6,8 MWh et peut transporter 120 EVP de marchandises. En transportant des engrais minéraux entre les ports norvégiens, il remplace 40 000 trajets routiers diesel, ce qui permet d’éviter 1 000 tonnes de CO2 par an. Le navire a terminé ses deux années d’essai en 2024.

La Commission centrale pour la navigation du Rhin recense 48 projets autonomes zéro émission, d’ici 2029. Des efforts sont en cours pour utiliser les autorisations existantes pour les essais sur le Rhin inférieur et étendre cette solution à d’autres voies navigables. Par exemple, le port de Hambourg est en phase de candidature pour des sections du canal dans le nord-ouest de l’Allemagne, ainsi que pour le Mittellandkanal et d’autres parties du Rhin.

En Asie, la Nippon Foundation administre le Programme conjoint de développement technologique pour la démonstration de navires entièrement autonomes dans le cadre du projet MEGURI 2040. Lancé en 2020, ce projet implique 51 entreprises japonaises et vise une commercialisation à grande échelle de la technologie des navires entièrement autonomes d’ici cette année.

M. Roussel affirme que le Canada est bien placé, grâce à ses voies navigables intérieures, pour tester et adapter les technologies émergentes. « Selon certaines études, 11 à 17 % des navires dans le monde bénéficieront d’une assistance à distance dans un avenir proche », précise-t-il.

Nous parlons de regroupements importants de l’industrie maritime qui délocalisent leurs emplois à terre, et si nous voulons en tirer parti au Canada, nous devons adopter la numérisation, l’accélérer et trouver des solutions pour “jumeler” la technologie sur des itinéraires répétitifs à des fins de test dès que possible. 

Donald Roussel, Conseil international des corridors maritimes intelligents

Il souligne que la Loi sur la marine marchande du Canada a déjà été modifiée pour autoriser les voyages à des fins de test. « Nous devons donc promouvoir cette technologie et la faire tester, car, pour l’instant, les clients ne sont pas au rendez-vous », déclare-t-il, ajoutant que le Canada risque de perdre sa compétitivité s’il n’accélère pas la cadence.

Il affirme également que le cadre réglementaire doit s’adapter aux changements rapides à venir. « Maritime UK a déjà publié la version 7 des principes de conduite de l’industrie et du code de pratique des systèmes de navires autonomes maritimes (MASS) au Royaume-Uni », souligne-t-il.

« Il est nécessaire que les dirigeants de l’industrie, les syndicats, le gouvernement et les personnes chargées de l’analyse prospective en discutent ensemble dès maintenant », souligne-t-il. M. Roussel note que le partenariat entre l’Association internationale des pilotes (IMPA), le Centre national d’expertise en pilotage maritime du Canada et la Garde côtière canadienne pour étudier la faisabilité et les impacts du pilotage à distance constitue un pas dans la bonne direction.

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Accélérer les processus grâce à la documentation et la catégorisation

InnovMarine, partenaire de l’Alliance verte depuis 10 ans, fait également une incursion dans la mise en application de l’intelligence artificielle pour le maritime. La PME créée en 2014 à Lévis tire déjà son épingle du jeu en matière de développement et de commercialisation de solutions numériques avancées pour la construction navale.

Son portfolio inclut plusieurs outils, notamment ShipConstructor (conception et ingénierie navale), QuickBrain (gestion intelligente de la maintenance avec visualisation 3D), CMPIC (gestion du câblage) et IMSurvey (inspection numérique des navires). QuickBrain, en particulier, est développé en partenariat avec la société française Ennovia, qui elle-même collabore avec IBM sur des solutions d’IA appliquées à la maintenance industrielle.

InnovMarine vient, elle aussi, de signer un contrat de commercialisation avec IBM pour un portfolio de solutions en intelligence artificielle et en automatisation pour produire outils précis pour l’industrie. 

« On va mettre à profit notre expertise maritime et notre expérience, notre connaissance du marché, pour adapter les cas d’usage et les appliquer au domaine maritime », explique Pierre-Charles Drapeau.

IBM a déjà testé la technologie pour améliorer leurs processus internes, notamment pour la gestion des ressources humaines et la comptabilité. « Donc on travaille avec les firmes de génie conseil, les chantiers maritimes et les propriétaires de navires pour identifier les applications possibles, selon les priorités », ajoute-t-il.

Évidemment, les applications administratives testées par IBM sont déjà pertinentes et transférables aux compagnies maritimes, mais le rôle de l’IA peut aller encore plus loin.

Par exemple, si on prend l'inspection de navires, on a fait un cas d'usage récemment où l'inspecteur va prendre une photo, puis l'intelligence artificielle va traiter la photo pour identifier la nature d’un élément à savoir si c’est une fissure ou de la corrosion. Ça permet de documenter, de catégoriser, pour accélérer le processus. 

Pierre-Charles Drapeau, InnovMarine

L’entreprise est déjà active pour soutenir la transformation numérique de la Marine royale canadienne, permettant une gestion avancée des opérations de maintenance et une meilleure planification des interventions. Le partenariat avec Ennovia a par ailleurs permis à InnovMarine de s’ouvrir aux marchés européens et nord-américains, en particulier grâce à la solution QuickBrain, déjà adoptée par la Marine nationale française et plusieurs chantiers navals en France. Cette collaboration s’inscrit dans une dynamique de modernisation des flottes au Canada, avec des perspectives de contrats importants pour la construction et la rénovation de navires civils et militaires.

Ces avancées sont transférables aux autres types de navires selon le président d’InnovMarine : « nos contrats avec la Marine ne sont pas liés à la défense en tant que telle, c'est sur des fonctions qui sont les mêmes que dans la marine marchande comme l'opération du navire, l'inspection de navires, la gestion administrative. »