Par Julie Gedeon

Corridors maritimes verts — Grands Lacs et Saint-Laurent

Décarbonation

Le Canada et les États-Unis s’entendent pour favoriser l’émergence d’un réseau d’énergie propre dans les Grands Lacs et le Saint-Laurent

Lors de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27) au début de novembre, les gouvernements canadien et américain ont convenu d’établir un corridor vert dans le réseau des Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent.

La nouvelle est bien accueillie par les dirigeants de l’industrie, qui cherchaient une approche cohésive pour collaborer et coordonner la transition majeure qui sera nécessaire pour la décarbonation du transport maritime d’ici 2050 et même plus tôt si possible, afin de limiter les effets du réchauffement climatique, ils émettent toutefois quelques réserves.

« Nous sommes heureux de constater que les deux gouvernements adhèrent pleinement à cette idée, puisque c’est tout à fait logique de considérer les Grands Lacs et la Voie maritime du Saint-Laurent comme un ensemble binational établi depuis plusieurs décennies », affirme le président-directeur général de la Chambre de commerce maritime, Bruce Burrows, qui a piloté la démarche.

« Désormais, nous devons cependant agir rapidement pour présenter des exemples de ce que nous avons fait et de ce que nous ferons pour verdir le corridor, et pour garantir que les critères évolutifs de notre industrie vers la décarbonation demeurent pertinents pour cette région. »

Au début de novembre, le Canada a publié sa vision nationale dans le Cadre canadien sur les corridors maritimes verts, avec comme objectif d’instaurer de manière cohérente de tels corridors pour permettre aux intervenants concernés de travailler ensemble en vue d’éliminer les émissions atmosphériques. Aux États-Unis, le département d’État américain a aussi publié en avril dernier son cadre sur les corridors verts (Green Shipping Corridors Framework).

Transports Canada considère que les corridors maritimes verts sont essentiels pour promouvoir l’adoption de technologies et de carburants à émissions nulles qui permettront au secteur maritime de contribuer à l’objectif mondial de limiter à 1,5 degré Celsius l’augmentation de la température mondiale. Le gouvernement américain envisage aussi des corridors maritimes verts où seront mises de l’avant des technologies et des carburants à émissions faibles ou nulles tout au long de leur cycle de vie, le but ultime étant de réaliser un bilan nul d’émissions de gaz à effet de serre dans une perspective globale le long d’un corridor afin de soutenir la décarbonation sectorielle d’ici 2050.

Dans le cadre de ce nouvel accord, le Département américain des Transports, le Département d’État américain ainsi que Transports Canada se sont engagés à collaborer avec les gouvernements des États et des provinces, les peuples autochtones, les collectivités locales, les intérêts du secteur privé ainsi que les dirigeants non gouvernementaux afin de faciliter le processus nécessaire de consultation avec les ports et les autres parties prenantes tout en établissant le réseau le long du corridor.

Nous voulons faciliter le dialogue, et non pas dicter les conditions.

Nathalie Morin, directrice générale par intérim des politiques environnementales à Transports Canada

« Notre ministère a adopté une approche neutre en ce qui concerne les technologies, ajoute-t-elle. Il est ouvert à explorer toutes les solutions de rechange sur le plan énergétique tant qu’elles entraînent des réductions réelles et mesurables des émissions de GES, calculées à l’aide de méthodes d’évaluation “du puits au sillage” (well-to-wake), et sans engendrer de pollution ailleurs ni mettre une pression accrue sur la sécurité alimentaire. »

La collaboration est une tâche ardue en présence de plus de 110 ports commerciaux largement diversifiés quant à leur envergure et à leurs ressources tant au Canada qu’aux États-Unis, et qui forment le plus long réseau de navigation à fort tirant d’eau du monde. « Pourtant, il est logique d’agir stratégiquement dans cette région qui est déjà si bien interconnectée à plusieurs égards, et c’est pourquoi nous avons demandé au gouvernement de nous aider en ce sens », ajoute M. Burrows.

L’écologisation progressive de ce corridor de quelque 3 700 kilomètres permettrait de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre et les autres émissions liées au transport sur une base annuelle, soit à hauteur de plus de 180 millions de tonnes métriques de marchandises (200 millions de tonnes nettes), et peut-être davantage à l’avenir.

« Initialement, les armateurs et les ports auraient intérêt à s’appuyer sur leur engagement comme participants au programme environnemental de l’Alliance verte, qui est une source de fierté pour beaucoup de nos membres à la Chambre de commerce maritime, souligne M. Burrows.

L’Alliance dispose du réseau et de la capacité nécessaires pour définir des paramètres afin de suivre les progrès réalisés dans un corridor vert.

Bruce Burrows, président-directeur général de la Chambre de commerce maritime

Burrows rappelle aussi l’importance de bénéficier du soutien des gouvernements : « Par exemple, nous voudrions des changements en lien avec le Fonds national des corridors commerciaux du Canada et ses équivalents aux États-Unis, de sorte que les ports puissent se servir de ces fonds pour aménager ou améliorer leurs infrastructures d’alimentation à quai pour les navires. »

La région des Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent représente aussi un point d’intérêt central pour l’établissement de corridors transatlantiques avec des partenaires européens. Toutefois, M. Burrows insiste sur la nécessité d’aborder la décarbonation en tenant compte des défis particuliers aux différentes zones géographiques.

« Essentiellement, le trafic intérieur dans les Grands Lacs et sur le Saint-Laurent répond à un modèle de transport maritime courte distance avec des navires plus petits conçus pour être compatibles avec l’infrastructure de la Voie maritime et pour se déplacer rapidement d’un port à l’autre, précise M. Burrows. Par conséquent, le système d’évaluation de l’efficacité énergétique des grands navires océaniques (qui parcourent des distances largement supérieures) ne fonctionnerait tout simplement pas pour les flottes de la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent. »

Comme le fait remarquer M. Burrows, l'approche par moyenne de la flotte pour les Grands Lacs et du Saint-Laurent en vue de réduire les émissions de soufre à l’échelle mondiale a connu un certain succès par le passé.

La Chambre de commerce maritime voudrait aussi que des crédits carbone soient accordés aux armateurs qui utilisent un corridor maritime vert, puisqu’ils mettent déjà à profit le mode de transport le plus efficace, lequel deviendra progressivement plus propre suivant l’intégration de sources écoénergétiques pour alimenter les navires.

L’autre grande question est de savoir comment ces mesures pourraient s'appliquer aux navires étrangers qui empruntent le corridor. En principe, à titre de réseau de solutions énergétiques propres, ce corridor pourrait aider les navires domestiques et étrangers en mettant à leur disposition des carburants alternatifs.

L’adoption de corridors maritimes verts en Atlantique suscite déjà beaucoup d’intérêt. En novembre 2021 dans le cadre de la conférence COP26, l’Administration portuaire de Montréal et le Port d’Anvers ont signé une entente de collaboration en appui au premier corridor maritime vert en Atlantique Nord.

« L’écosystème portuaire et maritime du Saint-Laurent est en bonne posture pour utiliser, distribuer et exporter des carburants renouvelables comme l’hydrogène et le méthanol produits à partir de l’électricité québécoise », affirmait alors le président-directeur général de l’Administration portuaire de Montréal, Martin Imbleau.

« Nos énergies vertes peuvent desservir tant les navires que les marchés internationaux. Cette entente nous permet de miser sur nos forces respectives pour décarboner non seulement notre industrie, mais aussi nos économies respectives », ajoutait-il.

En août dernier, le Port de Belledune au Nouveau-Brunswick annonçait la conclusion d’une entente de principe avec l’initiative Cross River Infrastructure Partners, en vue de construire des installations de production d’hydrogène dans ce port du nord du Nouveau-Brunswick, dans le but notamment de fournir en carburant la clientèle en Allemagne.

Le 29 septembre, le Port de Halifax annonçait aussi une entente de collaboration avec le Port de Hambourg pour la décarbonation de son corridor maritime dans l’Atlantique Nord.

Le vif intérêt pour l’aménagement d’installations d'hydrogène dans les provinces atlantiques ainsi que les protocoles d’entente avec les ports européens soulèvent des questions intéressantes quant à savoir où sera située exactement la porte d’entrée de ce corridor maritime vert canado-américain.

« S’ils le souhaitent, les partenaires d’un corridor pourraient le prolonger jusqu’à un port outre-mer, souligne Mme Morin.

Transports Canada appuie les mesures ambitieuses visant à définir et à prolonger des corridors verts.

Nathalie Morin

À la mi-novembre, 24 gouvernements internationaux avaient déjà signé des déclarations visant à établir des corridors maritimes verts reliant au moins deux ports, et d’autres participants de l’Alliance verte se trouveront probablement bientôt à discuter de stratégies pour des routes de décarbonation.

« Une chose est sûre : il n’y a pas de temps à perdre, estime M. Burrows. Il faut que tous les intervenants concernés s’engagent et investissent de manière significative pour que cet énorme virage ait lieu d’ici 2050 afin d’assurer la durabilité de notre industrie et de la planète. »

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