Par Julie Gedeon

La carboneutralité et d’autres objectifs de DD modifient la demande de compétences professionnelles

Décarbonation

Une nouvelle étude met en relief des changements importants en ce qui a trait aux compétences recherchées par l’industrie maritime au fil de son virage vers la décarbonation.

Cette étude a été menée par Sherry Scully, Ph. D., directrice du développement de la main-d’œuvre au laboratoire vivant PIER du Port d’Halifax, voué à la recherche collaborative de solutions novatrices pour la chaîne d’approvisionnement. Ce document a été publié sous le titre High Value Skills for a Net-Zero Economy: A Skills Assessment for the Ports, Supply Chain and Maritime Sector (« Des compétences de grande valeur pour une économie net zéro : évaluation des compétences dans les secteurs portuaire et maritime et la chaîne d’approvisionnement »).

Nous sommes confrontés à une pénurie de compétences, mais on peut penser que ce n’est pas la main-d’œuvre qui manque, mais plutôt la disponibilité de personnes ayant les compétences recherchées suivant l’évolution de l’industrie

Dr. Sherry Scully, PIER

Dans le cadre de cette étude, elle-même ainsi que son équipe ont interrogé les représentants de compagnies maritimes du Port d’Halifax et des environs, et ont consulté la Nova Scotia Apprenticeship Agency ainsi que d’autres ressources.

« Si les compétences techniques restent absolument nécessaires pour certains postes, l’étude révèle clairement que ce sont les compétences sociocognitives qui sont les plus recherchées, explique Mme Scully. Les employeurs n’utilisent peut-être pas ce terme exact, mais ils indiquent clairement que ce sont les qualifications qu’ils recherchent lorsqu’ils décrivent le type de personnes qu’ils voudraient trouver. »

Les personnes dotées de bonnes compétences sociocognitives (ou compétences d’avenir) peuvent analyser, interpréter et appliquer des données pour résoudre des problèmes. Elles ont également la capacité de gérer des concepts complexes et de s’adapter aux changements sous pression.

« Lorsque quelque chose ne fonctionne pas comme prévu, elles peuvent réagir rapidement en proposant de nouvelles solutions et en expliquant clairement ces nouvelles mesures aux membres de l’équipe », explique Mme Scully.

Ce sont des personnes qui sont prêtes à changer les attitudes, les pratiques, la réglementation et les technologies pour atteindre les objectifs zéro.

Elles peuvent également travailler en collaboration sous pression afin de trouver des idées réalistes pour des objectifs fondamentaux, comme la décarbonation à très courte échéance

Dr. Sherry Scully, PIER

Ces compétences sociocognitives hautement transférables sont très recherchées auprès des industries connexes qui s’engagent elles aussi vers un avenir zéro émission. Selon une étude de 2022 citée dans ce rapport, près de 40 % des nouveaux emplois dans le secteur des métiers spécialisés, des transports et des équipements nécessiteront un ensemble de compétences améliorées pour suivre le rythme de croissance de l’industrie et son évolution vers des pratiques plus durables.

Parmi ces « compétences vertes », on compte notamment quelques qualifications nouvelles, mais il s’agit généralement de compétences qui misent sur des connaissances bien établies et des qualifications traditionnelles qu’on applique à des projets ou pratiques favorables au développement durable.

Quant aux compétences vertes du secteur technique, elles nécessiteront une combinaison d’enseignement formel et de formation en cours d’emploi. Certaines des mises à niveau les plus intensives concernant les compétences vertes toucheront les gens de métiers spécialisés, les techniciens ainsi que les technologues, qui sont tous déjà en demande dans le secteur des transports, de la construction, des énergies renouvelables et du captage ou stockage du carbone. Ainsi, les électriciens et les électroniciens auront besoin d’une formation sur la haute tension. Les soudeurs auront besoin de cours d’appoint pour comprendre les complexités des nouvelles infrastructures de l’industrie maritime équipées de capteurs et d’autres technologies. Enfin, les travailleurs portuaires devront apprendre à manipuler en toute sécurité les nouveaux carburants.

Les employés possédant des compétences numériques ne seront plus autant sollicités pour coder ou programmer, mais plutôt pour utiliser les technologies disponibles afin de filtrer, de réexaminer et d’interpréter les données pour le transfert des connaissances, la résolution collaborative de problèmes et la navigation dans des systèmes complexes et intégrés, tout cela en vue d’améliorer l’efficacité des processus interconnectés et l’optimisation des ressources et de l’équipement.

Les diplômés en science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM) restent très convoités, mais les compétences sociocognitives de tous horizons prennent de plus en plus de place, en particulier parce que de nombreux rôles deviennent plus collaboratifs au sein des réseaux de la chaîne d’approvisionnement.

Il faut quelqu’un qui possède des capacités de pensée critique, mais aussi des compétences en communication pour pouvoir mieux interpréter et mettre en œuvre ces idées

Dr. Sherry Scully, PIER

L’étude révèle par ailleurs que les compétences vertes proviendront de tous les champs d’éducation et qu’elles seront particulièrement axées sur les finances et l’économie (pour financer les projets et accorder des crédits écologiques), les ressources humaines (pour recenser les compétences vertes et recruter des personnes qui les possèdent), la planification et le suivi (pour optimiser les flux de marchandises), l’immobilier et l’aménagement de l’espace (pour encadrer les infrastructures d’énergie renouvelable et la circulation des véhicules), ainsi que la communication et le marketing (pour faire connaître les stratégies écologiques). Dans un premier temps, les compagnies maritimes pourraient faire largement appel à des cabinets d’experts-conseils, mais il serait possible par la suite de développer à même l’entreprise une grande partie de l’expertise requise.

Le recours de plus en plus fréquent à l’intelligence artificielle, aux systèmes numériques de gestion portuaire, aux capteurs et aux commandes à distance pour le transport et le suivi des marchandises finira par éliminer progressivement certaines tâches manuelles.

Les équipages et les débardeurs devront se perfectionner en fonction des nouvelles technologies, qu’il s’agisse de la logistique des trajets ou encore des nouvelles procédures pour les équipements de camionnage, les gares de triage et les grues électriques.

Selon l’étude de Mme Scully, si la pandémie a fait comprendre au public l’importance du transport maritime pour le maintien des chaînes d’approvisionnement, il reste encore du travail à faire en matière de sensibilisation à l’égard de cette industrie, des possibilités de carrière qu’elle offre et de son rôle dans une logique de réduction nette des émissions de carbone et d’autres objectifs de développement durable.

L’étude recommande notamment de préparer le changement en faisant déjà l’inventaire des qualifications professionnelles actuelles afin de cibler plus facilement les lacunes à mesure que les technologies et processus s’orienteront vers le bilan net zéro. On recommande également de privilégier une certaine ouverture à la durabilité dans l’élaboration des stratégies et la prise de décisions, au lieu d’en faire une réflexion après coup.

Le rapport recommande aussi un engagement à former les travailleurs des autres industries en transition, dont le profil ne correspond pas exactement aux compétences recherchées.

 « Nous voudrions cibler les personnes qui possèdent les compétences voulues et qui décident ou pourraient décider de quitter certains secteurs en déclin, surtout si on leur propose une voie d’accès claire vers le secteur maritime », ajoute Sherry Scully.

On peut aussi envisager de privilégier la microcertification pour accélérer la préparation des nouveaux talents ou des talents en transition, et pour assurer l’actualisation, la souplesse et l’engagement des effectifs. Toutefois, il faudra évaluer rigoureusement les programmes formels de microcertification au chapitre de l’assurance de la qualité.

La diversification de la main-d’œuvre représente un autre élément clé. En faisant appel à ses réseaux élargis, Mme Scully cherche à préciser quelle est la perception de l’industrie maritime qu’entretiennent certains groupes généralement sous-représentés, notamment parmi les Autochtones et les collectivités d’origine africaine en Nouvelle-Écosse, les organisations féminines ainsi que les nouveaux arrivants au Canada. « Nous nous concentrons sur les obstacles existants pour d’éventuels emplois », explique-t-elle.

Des visites du PIER et du Port d’Halifax ainsi que divers ateliers sont souvent offerts à différents groupes, ainsi qu’à de nombreux élèves de la 10e à la 12e année.

Lorsqu’ils voient comment fonctionne le PIER, ils peuvent s’imaginer un jour dans un lieu de travail semblable. Ils comprendront mieux aussi ce qui se passe en coulisses lorsqu’ils verront passer un navire près du centre-ville d’Halifax

Dr. Sherry Scully, PIER

Cette dernière cherche aussi à recenser les aspects de l’industrie qui attirent les jeunes travailleurs, et à sensibiliser davantage au transport maritime les jeunes étudiants des cycles supérieurs en les intéressant aux compétences sociocognitives.

« La sensibilisation n’est pas encore suffisante en général. Lorsqu’on évoque le transport maritime auprès des jeunes, ils ont tendance à penser aux emplois dans la Marine et la Garde côtière, ou encore à cette image dépassée des films où l’on voyait de grands gaillards soulevant des caisses lourdes par temps froid, dit-elle. L’industrie n’est plus ce qu’elle était. Elle a évolué, et il faut changer les perceptions pour qu’elles reflètent cette évolution. »

Dans le cadre de sa récente initiative « Green Pathway Challenge », le PIER a invité les étudiants postsecondaires de la Nouvelle-Écosse à former des équipes et à utiliser leurs compétences sociocognitives pour proposer des idées en vue de créer des sentiers piétonniers plus sûrs et plus verts sur les berges d’Halifax. Des prix ont été décernés aux trois meilleures propositions.

Sherry Scully collabore également avec des établissements d’enseignement postsecondaire néo-écossais pour favoriser le développement des compétences vertes au sein de l’industrie par l’entremise de projets intégrés au travail, y compris plusieurs projets intégrateurs axés sur des solutions novatrices pour la chaîne d’approvisionnement maritime.

Enfin, le PIER examine certains programmes d’études en collaboration avec des collèges, des universités et des centres de formation de la Nouvelle-Écosse pour déterminer quelles nouvelles formations pourraient être nécessaires dans un avenir ouvert à la décarbonation, et lesquelles mériteraient d’être progressivement délaissées. « Nous avons certainement besoin de formation pour les nouveaux équipements électriques et les nouvelles sources d’énergie comme l’hydrogène, mais avec les modèles hybrides transitoires, il faudra peut-être aussi conserver une partie de la formation traditionnelle pendant un certain temps », explique Mme Scully.

Ses travaux suggèrent que la mise en commun du savoir d’une région à l’autre, mais aussi d’un pays à l’autre constitue un facteur clé. Son étude souligne que les partenariats internationaux pourraient accélérer et faciliter le transfert des connaissances, le renforcement des capacités et l’adoption des technologies.