Depuis 1977, l’American Great Lakes Ports Association (AGLPA) représente les intérêts des ports commerciaux et de leurs utilisateurs du côté américain des Grands Lacs. L’AGLPA faisait partie des premières associations membres ayant participé à la conception puis à la promotion de l’Alliance verte il y a 15 ans, en vue d’en faire un programme binational de certification environnementale dans la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Le directeur général de l’AGLPA, Steve Fisher, a récemment discuté des débuts de l’Alliance et des défis actuels du secteur portuaire, en compagnie de notre collaboratrice Julie Gedeon.
Il y a eu de nombreuses réunions avec des représentants de sept associations commerciales et sectorielles, notamment la Fédération maritime du Canada, la SODES, l’Association des armateurs canadiens et bien sûr la Chambre de commerce maritime, avec Ray Johnston à la tête des discussions.
À l’époque, et je le répète encore aujourd’hui, le public n’était pas en phase avec l’industrie sur la question des espèces aquatiques envahissantes. À en croire certains scientifiques, une nouvelle espèce faisait son apparition presque tous les six mois dans les Grands Lacs ou le Saint-Laurent. Un éditorial du Milwaukee Journal Sentinel réclamait même la fermeture de la Voie maritime si c’était le seul moyen de protéger l’environnement. Peu après, un journal de Détroit en avait fait autant. C’était alarmant! D’un point de vue collectif, il fallait trouver le moyen d’être proactifs pour la performance environnementale de notre industrie.
Nous avions déjà collaboré sur des questions d’infrastructure et de réglementation, notamment dans le cadre de nos démarches pour uniformiser la réglementation sur les eaux de ballast.
Cependant, je crois que l’Alliance verte incarnait pour la première fois au sein de notre industrie l’idée de collaborer pour mettre de l’ordre dans nos propres affaires.
Au départ, personne d’entre nous ne savait dans quelle mesure les intervenants seraient prêts à collaborer. Je me souviens que Ray mentionnait à tout le monde l’importance d’être proactifs dans notre secteur. Puisqu’il était engagé depuis longtemps au sein de l’industrie, c’était la personne toute désignée pour assumer ce leadership. À mon avis, si ça avait été quelqu’un d’autre que lui, on aurait certainement eu des commentaires du genre « vous ne viendrez pas nous dicter la façon d’agir ». Malgré tout, il s’en est trouvé pour refuser de s’engager, mais Ray avait insisté sur le fait qu’il fallait aller de l’avant en espérant qu’ils nous rejoindraient plus tard. Et c’est ce que la plupart ont fait.
Pas toujours. Il y a parfois des moments où les points de vue divergent, mais nous avons tendance à nous unir devant une menace. Par exemple, lorsque les États ont voulu surpasser la réglementation fédérale proposée sur les eaux de ballast – même au-delà des données scientifiques disponibles –, nous avons rendu visite aux représentants des États pour leur expliquer pourquoi cette situation était intenable pour les armateurs. J’étais là, en compagnie de Ray qui représentait la Chambre de commerce maritime, Bruce Bowie de l’Association des armateurs canadiens, George Robichon de Fednav et d’autres. Heureusement, grâce à nos discussions à Washington, le Congrès américain a reconnu que c’est au niveau fédéral qu’il fallait réglementer toutes les questions relatives au transport maritime en tant que commerce interétatique et international, sinon ça serait le chaos.
Un autre exemple : la Commission mixte internationale menaçait d’entraver le commerce sur le fleuve Saint-Laurent en augmentant le débit d’eau du lac Ontario pour abaisser le niveau des lacs et réduire les risques d’inondation. Nous avions souligné que les décisions de la commission étaient censées refléter le traité sur les eaux limitrophes, et que celui-ci accordait la priorité à la navigation sans même mentionner les risques d’inondation.
On peut y voir des occasions à saisir plutôt que des difficultés. Aux États-Unis, il y a plus de 2 milliards de dollars de disponibles en financement d’infrastructures portuaires dans le cadre de programmes de subventions fédérales, et encore 3 milliards de dollars supplémentaires pour l’électrification des ports et la réduction des émissions.
Le défi, c’est d’obtenir ce financement pour pouvoir améliorer les ports individuels et l’ensemble du réseau.
Les administrations portuaires doivent se poser les questions suivantes : comment faut-il aborder cette question du point de vue de la planification? Que voulons-nous électrifier? Si nous achetons de l’équipement électrique, de quoi aurons-nous besoin en termes d’infrastructures de recharge? Les services d’utilité publique pourront-ils fournir l’énergie nécessaire? Et tout le monde se précipite parce que les fonds ne seront offerts encore que quelques années.
Nous avons facilité les rapprochements entre les ports et les différentes agences fédérales qui gèrent les fonds, ainsi qu’avec les sociétés de conseil qui peuvent faciliter la planification, les demandes de subventions et l’ingénierie des projets.
Par exemple, nos représentants portuaires ont récemment participé à un dîner de trois heures à Washington, D.C., avec le directeur de l’Administration maritime des États-Unis, soit l’agence qui supervise les 2 milliards de dollars de fonds pour améliorer l’infrastructure portuaire. Nos membres ont ainsi eu l’occasion de discuter de façon constructive avec l’administrateur et son équipe.
Le lendemain, nous avons eu une réunion d’une heure avec le personnel de l’EPA (Agence des États‑Unis pour la protection de l’environnement), qui administre les 3 milliards de dollars de financement pour l’électrification des ports et la réduction des émissions. Leurs représentants nous ont fourni de nombreux renseignements utiles quant aux demandes de subvention, et nous ont indiqué qui étaient les personnes susceptibles de nous aider au sein de l’agence.
Par contre, même si ces occasions peuvent être facilitées par une organisation commerciale, il revient en fin de compte aux administrations portuaires elles-mêmes de procéder stratégiquement pour solliciter des fonds ainsi que planifier et réaliser le projet.
C’est pourquoi nous avons également aidé les ports à mieux connaître différents experts-conseils offrant de tels services, notamment dans le cadre d’une sorte de rencontre informelle pour voir ce que chacun avait à offrir en termes d’expertise et d’expérience.
Il y a beaucoup de pression pour favoriser les approvisionnements américains, mais il y a quand même certains produits qui ne se fabriquent pas aux États-Unis. Certains ports côtiers, par exemple, voudraient acheter de grandes grues, mais celles-ci sont toutes fabriquées à l’étranger. L’Association américaine des administrations portuaires a soulevé cet enjeu dans la plupart des discussions avec l’administration Biden et les agences fédérales. Nous avons également soulevé la question auprès de l’EPA, car les représentants des administrations portuaires se demandaient si les chariots élévateurs ou les camions de transport électriques étaient disponibles aux États-Unis. La réponse demeure incertaine. L’administration Biden accorde parfois des dérogations, mais je ne sais pas à quelle fréquence elle serait disposée à le faire. L’objectif du président Biden, c’est de dépenser cet argent pour stimuler l’économie américaine.
Malgré un certain discours politique, les États-Unis sont très engagés dans le commerce international, et il serait difficile de faire marche arrière. L’administration Trump avait essayé avec les droits de douane.
Il sera intéressant de voir l’évolution des discussions à propos d’un corridor maritime vert. Les deux gouvernements ont annoncé cette initiative sans même consulter les transporteurs et les ports qui devront la mettre en œuvre, ce qui a pris beaucoup d’entre nous par surprise. L’idée est bonne, mais je pense que les gouvernements s’en remettront à nous pour la structurer et la concrétiser. Là encore, il faudra montrer le même leadership que celui dont Ray avait fait preuve au début de l’Alliance verte pour négocier avec tous les intervenants.
Il a fallu deux ans pour créer l’Alliance verte : nous avons dû définir la structure, la gouvernance, les critères, le financement et d’autres éléments. C’est peut-être ce que nous devrons faire à nouveau pour ce corridor.
Du reste, il faut d’abord définir ce que l’on entend par « corridor vert ». Il en existe déjà un certain nombre dans le monde et chacun a été abordé différemment. Il faudra peut-être d’abord examiner les corridors existants pour voir ce que nous pouvons apprendre de ces projets.
Ce n’est sans doute pas à moi d’en juger. Les associations avaient bel et bien pris part aux discussions initiales de l’Alliance verte il y a plus de 15 ans, mais nous avions finalement laissé les participants décider de la marche à suivre. À mon sens, l’Alliance verte a fait un travail remarquable sous la direction de David Bolduc et de son équipe, comme en témoigne l’expansion du programme.
Bien sûr, la réduction des émissions est devenue une priorité de premier ordre aujourd’hui compte tenu du changement climatique, même si elle a toujours fait partie du programme de l’Alliance verte sous une forme ou une autre. Cependant, les ports n’ont pratiquement plus d’excuses de ne pas agir puisque les États-Unis débloquent des fonds importants en ce sens.